Capter le CO2 dans le pot d'échappement des camions
En Suisse, plus d’un million de tonnes de CO2 émises annuellement sont imputables aux camions selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique. La part de camions électriques augmente fortement, mais reste encore confidentielle: en Europe par exemple, 600 camions électriques de seize tonnes et plus ont été immatriculés durant le premier trimestre 2023, contre 86 455 véhicules thermiques de même volume. Afin d’accélérer le processus de décarbonation, Qaptis, spin-off de l’EPFL, développe un système qui récolte le CO2 directement dans le pot d’échappement et le stocke à l’état liquide. Son prototype, qui vient d’arriver dans les locaux d’un transporteur romand avec qui Qaptis a noué un partenariat stratégique, va lui permettre d’effectuer de nouveaux tests en conditions réelles. «Nous planifions de mettre en service un premier véhicule de test fin 2024», note Théodore Caby, cofondateur et COO de la start-up.
Capter le CO2 à sa source
Le principal défi de ce système, issu du Laboratoire d’ingénierie des procédés industriels et des systèmes énergétiques, est de faire passer le CO2 gazeux à l’état liquide en utilisant le moins d’énergie extérieure possible afin de rendre le cercle vertueux. Le dispositif, installable sur des camions déjà en service, comporte plusieurs étapes de traitement. Après avoir été capturé dans le pot d’échappement, le CO2 refroidi est séparé des autres gaz (azote et oxygène) grâce à un procédé généré par un adsorbant, un composé chimique sous forme de poudre. «Sur le long terme, l’utilisation d’une poudre organométallique pourrait améliorer encore le procédé. Mais celle-ci n’est pas encore produite en quantité industrielle», souligne Théodore Caby. Une fois saturé, l’adsorbant est chauffé par la chaleur du moteur pour libérer le gaz carbonique. Des turbocompresseurs à haute vitesse compriment ensuite le gaz afin de le rendre liquide et donc moins volumineux. «Passer du laboratoire au milieu industriel est une première étape enfin réalisée, notre prochaine étape est de rendre le dispositif suffisamment petit pour être intégrable au camion».
Dans l’optique d’une neutralité climatique en 2050 telle que préconisée par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), réduire les émissions de gaz à effet de serre et miser sur les énergies renouvelables ne suffira pas : des milliards de tonnes de CO2 doivent également être retirées de l’atmosphère. Des technologies de captages sont en développement pour divers secteurs de l’industrie, de même que des filières de stockage et de traitement. Une partie de ce dioxyde de carbone pourra être valorisée dans l’industrie alimentaire, dans l’agriculture sous forme d’engrais, dans la production d’énergie ou de matériaux de construction ainsi que pour la fabrication d’hydrocarbures synthétiques. C’est dans ce réseau en développement que s’inscrit le dispositif de Qaptis. Le CO2 liquide, stocké dans une cuve à l’arrière de la cabine, est déchargé au retour du camion à l’entreprise. «Dans un premier temps, nous visons les entreprises de transport locales soucieuses de l’environnement», note Théodore Caby. Pour s’étendre sur un réseau plus vaste, l’entreprise prévoit dans un second temps de développer le système de récupération afin que les conducteurs puissent déverser le CO2 liquide dans des stations-service.
1,3 million pour une première levée de fonds
L’entreprise a franchi une étape clef au printemps 2023: les premières gouttes de CO2 ont pu être filtrées par un système, certes encore imposant, mais branché et organisé dans des conditions d’utilisation standards. Ce prototype, d’abord testé aux États-Unis, dans les locaux de partenaires de longue date, vient d’être installé à Tolochenaz afin d’être optimisé. Il faudra encore plusieurs mois de développement avant d’obtenir un système suffisamment miniaturisé pour être utilisé sur un camion: «une nouvelle technologie, modulable et répétable pour différents types de camions, nécessite encore de nombreuses adaptations après sa sortie du laboratoire avant d’être utilisée dans la vie quotidienne», souligne le COO. Le financement de la prochaine étape est assuré puisque la jeune entreprise a levé 1,3 million de francs de business angels et de fonds de capital-risque au mois de mars 2023. «La grande entreprise de transport locale avec qui nous sommes en contact souhaite utiliser notre technologie rapidement pour ses transports quotidiens. Des entreprises asiatiques nous ont également contactés, mais nous visons dans un premier temps les marchés suisse, allemand et autrichien.» Cette technologie pourrait également être adaptée pour capter le CO2 d’autres moyens de transport comme les bateaux.