Un exosquelette de la main pour retrouver la préhension
La préhension joue un rôle clef dans la majorité des activités quotidiennes. D’une complète évidence pour une personne valide, des gestes simples tels que se servir d’une cuillère ou d’un verre deviennent très compliqués, voire impossibles, avec une main qui ne parvient pas à saisir d’objets. Chaque année près de 12 millions de personnes dans le monde survivent à une attaque cérébrale avec des séquelles plus ou moins lourdes sur les mouvements des mains pour la moitié d’entre eux. Divers systèmes robotiques portables ainsi que des interfaces humain-machine ont été développés ces dernières années pour tenter de remédier au déficit de préhension. Pourtant, trop complexes ou trop chers, aucun n’est passé avec succès au stade d’une utilisation quotidienne. Le dispositif développé par Emovo Care, spin-off de l’EPFL, a été spécifiquement élaboré pour franchir ces écueils. Fruit de plusieurs années de développement en lien direct avec des utilisateurs handicapés, le système a subi plusieurs phases de tests et améliorations dans des hôpitaux et centres de rééducation. La start-up a obtenu récemment une certification européenne ISO qui lui permet d’amener ce premier produit sur le marché en tant que dispositif médical.
La main s’adapte automatiquement à la forme à saisir
Le terme « exosquelette » traine souvent avec lui une connotation de système imposant et futuriste. Depuis quelques années pourtant, ces dispositifs se miniaturisent et se rapprochent d’une utilisation courante par les personnes qui en ont le plus besoin : les personnes handicapées. L’aide à la préhension développée par Emovo se compose principalement de deux tendons artificiels, dont la technologie a été brevetée, ressemblant à des câbles fins insérés dans une gaine. Ils se fixent sur le dos de la main grâce à des anneaux de silicone placés sur les phalanges. Le moteur et la télécommande, qui permet de régler la force appliquée, sont dans des petits boitiers séparés. La paume et le bout des doigts sont ainsi libérés afin de garder un maximum de sensations concernant l’objet.
Lorsque l’utilisateur le souhaite, il peut activer le système qui imprime une légère pression sur la seconde puis sur la troisième phalange pour qu’elle pivote etentre à son tour en contact avec l'objet. Ce dernier peut être d’une forme irrégulière : la main s'adapte automatiquement à la forme à saisir afin d’assurer un mouvement le plus naturel possible. Une autre commande sur la télécommande donne l’ordre inverse, pour lâcher l’objet : des forces de traction générées dans les câbles aident les phalanges à se déplier. Les tendons artificiels sont élaborés sur des principes bio-inspirés et sont similaires aux systèmes des muscles et tendons que contrôlent les mains humaines. « Nous avons adopté une conception qui permette à la fois de transmettre les mouvements en douceur et assurer un maintien de la main », souligne Luca Randazzo, CEO de la start-up, qui a développé cette technologie durant sa thèse et son postdoctorat à l’EPFL (Laboratoire d’interface cerveau-machine et Laboratoire de Biorobotique). La personne reste au cœur de l’action, de manière à éviter de lâcher ou prendre au mauvais moment : le système n’amorce pas le mouvement.
« La répétition est un élément clef de la rééducation : c’est un outil très prometteur »
Plus d’une centaine de personnes - patients, thérapeutes et neurologues- ont donné leur avis dans le cadre de tests longitudinaux et discussions guidées tout au long du développement de ce dispositif. Récemment, les bénéfices de son utilisation ont été constatés par des neurologues et des thérapeutes, dans le Jura, au Centre Rencontres de Courfaivre, ainsi qu’en Italie et en Autriche, où une trentaine de personnes victimes d’un traumatisme cérébral participent actuellement à une étude clinique. Anne-Lise Joray-Tendon, physiothérapeute du Centre Rencontres, y voit un grand intérêt thérapeutique : « La personne pourrait s’entraîner 15 minutes supplémentaires chaque jour suite au traitement traditionnel par exemple ou prendre l’appareil à domicile pour poursuivre sa rééducation. La répétition étant un élément clef des progrès, c’est un outil très prometteur ».
La mission que s’est donnée Luca Randazzo dépasse celle de la start-up : « ma sœur est elle-même handicapée. Ma motivation a toujours été de développer des dispositifs simples qui peuvent aider les gens dans leur vie de tous les jours », souligne-t-il. Ce premier dispositif n’a pas pour objectif de redonner une mobilité de personne valide. Mais permettre à une personne invalide de retrouver suffisamment d’autonomie pour faire quelques gestes essentiels constitue déjà bien souvent une petite révolution. « Je me souviens de la première fois que j’ai utilisé ce système, note Balz Heusler, un des premiers utilisateurs. Le lendemain, après sept ans d’immobilité complète, j’ai pu bouger mon index de deux millimètres sans aide. C’était formidable ». « Nous collectons encore les données pour obtenir des statistiques fiables, mais les patients nous rapportent, dès les premières utilisations, avoir la sensation que leur main fait à nouveau partie de leur corps alors qu’ils avaient tendance à la négliger », observe Iselin Frøybu, cofondatrice.
Reconnue comme entreprise médicale
L'équipe de la spin-off Emovo © 2022 Alain Herzog
«Nous sommes maintenant confirmés en tant qu’entreprise qui développe des dispositifs médicaux et non plus comme une équipe d'ingénieurs qui font des trucs sympas dans leur labo », sourit l’entrepreneur. Afin de permettre au plus grand nombre de bénéficier de ce système, un des défis a été de limiter le coût du dispositif et de simplifier l’utilisation afin de rendre les patients autonomes.
Des appareils sont déjà disponibles pour des cliniques et des institutions de recherche dans l’optique d’une collaboration. Emovo est actuellement en train de lever de fonds. L’objectif des entrepreneurs est une arrivée sur le marché l'année prochaine, avant d'ajouter progressivement diverses nouvelles modalités. « Nous envisageons par exemple d’intégrer une application qui agrège des données afin de montrer au patient où il en est dans son processus de réadaptation, ainsi que l’ajout de modalités de contrôle plus intuitives – par exemple basées sur le décodage de l’intention du patient par ses signaux cérébraux ou musculaires».