Apprendre à «vendre» un prototype conçu en quelques semaines
Des équipes d’étudiantes et étudiants concentrés et un brin nerveux se succèdent devant un jury de quatre experts dans une des salles de cours du campus de l’EPFL: leur prototype entre les mains, ils et elles n’ont qu’une quinzaine de minutes pour démontrer comment la solution trouvée répond aux exigences de l’entreprise pour laquelle elle a été imaginée. D’un point de vue technique, mais aussi financier. Certains ont planché sur un nouveau type de peaux de phoque à taille réduite qui se fixent à travers le ski. D’autres ont conçu un boîtier connecté adaptable à une montre de luxe. Fin 2022, en ce jour de compétition finale du cours de Master Innovation and Entrepreneurship in Engineering proposé conjointement par le Collège du management de la technologie (CDM) et la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur (STI), chacune et chacun affute ses arguments. Le jury questionne la pertinence des matériaux choisis ou la cohérence de l’étude de faisabilité. Une mise en situation réaliste telle que pourrait la vivre un entrepreneur ou une entrepreneuse en herbe le jour où il ou elle soumet son nouveau produit pour obtenir des financements.
Ce cours d’un semestre qui vient de s’achever existe depuis quatre ans. Imaginé à l’origine par les doyens du CDM et STI, il est porté depuis ses débuts par la professeure Véronique Michaud (STI) et le professeur Thomas Weber (CDM). Et le succès a vite été au rendez-vous. «La première année, nous avons eu 20 inscriptions et dès la deuxième déjà 50», se souvient Véronique Michaud. Désormais, les étudiantes et étudiants doivent écrire une lettre de motivation pour espérer décrocher leur place pour ces 10 heures hebdomadaires dont huit sont consacrées au projet pratique. «L’idée est de renforcer la collaboration entre étudiantes et étudiants de différentes facultés en associant des questions de management à l’ingénierie. Le but est de les mettre en situation avec un challenge industriel à la clef», précise Thomas Weber.
De la start-up à la multinationale
Une vingtaine d’entreprises locales, de la start-up à la multinationale, y participent. Elles sont actives aussi bien dans le domaine du médical, de l’horlogerie ou encore de l’alimentaire. Sur la base d’un thème proposé, comme cette année la technologie dans le sport, elles demandent à des petits groupes de trouver des solutions concrètes et économiquement viables à des défis qui les occupent. «Cela doit être des projets dont la propriété intellectuelle n’est pas à risque. En contrepartie, les entreprises s’engagent à les suivre chaque deux semaines. Avec son lot de joies et de frustrations puisqu’elles ont certaines attentes qui ne coïncident pas toujours avec les idées des jeunes», observe Véronique Michaud. Mais les retours restent positifs de part et d’autre. Les entreprises partenaires y voient un vivier d’ingénieures et ingénieurs bientôt qualifiés. «Le cours apprend à travailler en groupe, à s’adapter et à gérer les imprévus. Chacune et chacun passe par toutes sortes d’étapes: concevoir un beau prototype sur le papier, réaliser qu’il leur manque la bonne pièce pour qu’il fonctionne, et réagir vite pour trouver une alternative.»
Des compétences recherchées parmi les jeunes diplômées et diplômés, «qui vivent toujours davantage de contraintes à la fois», observent Véronique Michaud et Thomas Weber. «C’est pourquoi nous renforçons cette interdisciplinarité. Si les étudiantes et étudiants sont techniquement bien formés, nous les rendons aussi plus facilement employables.»
En quatre ans, le cours a vu éclore une trentaine de prototypes. Aucun n’a encore fait l’objet d’une commercialisation, mais certains continuent d’évoluer, comme un projet de purification d’eau repris par des scientifiques spécialisés dans le domaine. À l’avenir, le tandem compte garder le même nombre d’inscriptions afin d’assurer un suivi de qualité. Et souhaite également revenir à des prototypes aux solutions plus en prise directe avec la formation des ingénieures et ingénieurs en STI. «Au fil des ans, les entreprises ont tendance à vouloir des outils toujours plus technologiques, qui relèvent de l’informatique comme des applications et des logiciels. Notre souhait est de recentrer leurs demandes sur notre cœur de cible.»
«Chacun s’est réparti la matière selon ses compétences»
Trouver une solution intelligente pour fixer sur un ski une peau de phoque de taille réduite : tel était le défi lancé par l’entreprise vaudoise Pomoca à l’équipe gagnante de cette quatrième édition de la compétition du cours Innovation and Entrepreneurship in Engineering. «Nous étions six avec des spécialisations en mécanique, matériaux et microtechnique», détaille Martin Maggi, l’un des lauréats. «Deux d’entre nous avaient des bases de management, ce qui était un plus.» Et Jules Mainand, son collègue de cours, d’ajouter: «On s’est facilement réparti la matière selon nos compétences. Et la mayonnaise a vite pris.» Travailler en groupe, apprendre sur le tas à réaliser un montage vidéo ou à manier une imprimante 3D a été autant d’expériences passionnantes vécues par l’équipe en seulement quelques semaines. «C’est valorisant de partir de zéro et d’obtenir par nous-même un prototype fonctionnel. Dans les autres projets que j’ai menés en STI, je travaillais toujours sur des données déjà existantes», complète Martin Maggi. Un apprentissage d’autant plus concluant qu’il a décroché une place de stage chez Pomoca à l’issue du cours.