Les grands lacs de soude ont-ils été le berceau de la vie ?

La vie a besoin d'une quantité suffisante de phosphore. Or, cet élément est rare, non seulement aujourd'hui, mais aussi à l'époque de l'apparition de la vie. Où y avait-il donc suffisamment de phosphore il y a quatre milliards d'années pour que la vie apparaisse ? Une équipe de recherche spécialisée dans l'étude de l'origine de la vie a une réponse.
Dans les lacs de soude fermés, comme le lac Mono en Californie, l'accumulation de phosphore est telle qu'elle déclenche une chimie prébiotique. (Image : Rikk Flohr / AdobeStock)

En bref

  • Le phosphore est une molécule essentielle à la vie, mais cet élément est relativement rare sur Terre.
  • Cependant, une très forte concentration de phosphore était nécessaire pour déclencher les premières réactions chimiques qui ont précédé la vie et conduit à la formation de molécules importantes telles que l'ARN.
  • Les grands lacs de soude riches en phosphore sont les endroits les plus susceptibles de répondre à cette exigence. Les scientifiques pensent que c'est dans ces lacs que la chimie prébiotique a commencé et que la vie est apparue.

Avec l'azote et le carbone, le phosphore est un élément essentiel à la vie sur Terre. Il est un composant central de molécules telles que l'ADN et l'ARN, qui servent à transmettre et à stocker l'information génétique, et l'ATP (adénosine triphosphate), dont les cellules ont besoin pour produire de l'énergie.

Le phosphore pourrait également avoir joué un rôle clé dans l'origine de la vie. Certaines conditions sont nécessaires pour déclencher les processus biochimiques qui précèdent la vie. L'une d'entre elles est la présence d'une quantité suffisante de phosphore. Sa disponibilité régule la croissance et l'activité des organismes. Contrairement à l'azote ou au carbone, le phosphore est relativement rare à la surface de la Terre. C'était le cas à l'époque où la vie n'existait pas encore, et ça l'est encore aujourd'hui.

C'est précisément parce que le phosphore est rare et difficile à obtenir, tout en étant très demandé par les organismes vivants, que les scientifiques se sont longtemps demandé comment la vie avait pu apparaître.

Pour répondre à cette question, elles et ils ont mené des expériences en laboratoire. Celles-ci ont montré que la chimie prébiotique nécessite des concentrations très élevées de phosphore - environ 10'000 fois plus de phosphore que ce que l'on trouve naturellement dans l'eau. Cela soulève la question de savoir comment et où de telles concentrations de phosphore dans l'eau se sont produites sur Terre il y a des milliards d'années.

Le géologue Craig Walton apporte une nouvelle réponse : les grands lacs de soude sans écoulement naturel pourraient maintenir des concentrations de phosphore pendant une période suffisamment longue, même si la vie commence à y exister à un moment donné (et qu'elle consomme continuellement du phosphore). Les résultats de l'étude viennent d'être publiés dans la revue Science Advances.

Ces lacs ne perdent de l'eau que par évaporation. Cela signifie que le phosphore reste dans l'eau au lieu d'être emporté par les rivières et les ruisseaux. Par conséquent, des concentrations très élevées de phosphore peuvent s'accumuler dans ces lacs de soude.

Dès 2020, des chercheurs et chercheuses de l'Université de Washington avaient suggéré que les lacs de soude pourraient être le berceau de la vie. Craig Walton va maintenant plus loin. Dans le cadre d'une bourse Nomis au Center for Origin and Prevalence of Life (COPL) de l'ETH Zurich, le chercheur étudie les questions relatives à l'origine de la vie d'un point de vue géochimique.

Tous les lacs de soude ne conviennent pas ; Craig Walton exclut les petits lacs. «Dès que la vie s'y développe, les réserves de phosphore s'épuisent plus vite qu'elles ne se reconstituent. Cela tuerait dans l'œuf à la fois les réactions chimiques et le développement de la vie», explique-t-il. Dans les grands lacs de soude, en revanche, les concentrations de phosphore sont suffisamment élevées pour soutenir à la fois les réactions chimiques de base et la vie à long terme. Ces concentrations élevées sont obtenues grâce à un volume important d'eau fluviale, qui contient du phosphore, alors que l'eau ne quitte le lac que par évaporation. Comme le phosphore ne s'évapore pas facilement, il reste sur place et s'accumule dans le lac.

Le lac Mono, en Californie, est un exemple de grand lac de soude. Il est environ deux fois plus grand que le lac de Zurich. Dans le lac Mono, la concentration en phosphore reste constamment élevée, ce qui permet à une grande variété d'organismes de prospérer. Ceci est crucial car dans les petits lacs, le phosphore est épuisé avant que de nouvelles quantités ne puissent se former. Le phosphore dans le lac Mono est donc maintenu à une concentration élevée, ce qui signifie que beaucoup de phosphore afflue régulièrement sans que la teneur en phosphore ne diminue trop rapidement.

Craig Walton et son équipe considèrent donc que les grands lacs de soude qui ont bénéficié d'un apport élevé et constant de phosphore au début de l'histoire de la Terre ont constitué un environnement idéal pour l'apparition de la vie. Les scientifiques supposent qu'il est plus probable que la vie soit née dans ces grandes étendues d'eau que dans de petites mares, comme le soupçonnait Charles Darwin.

L'origine de la vie pourrait donc être étroitement liée à l'environnement particulier des grands lacs de soude qui, en raison de leur cadre géologique et de leur équilibre en phosphore, offraient des conditions idéales pour la chimie prébiotique. «Cette nouvelle théorie contribue à résoudre une autre pièce du puzzle de l'origine de la vie sur Terre», déclare Craig Walton.