Une piste pour expliquer la résilience de la 7ème pandémie de choléra
Le choléra est provoqué par la bactérie Vibrio cholerae, un agent pathogène d’origine hydrique qui infecte l’intestin des êtres humains par l’eau et les aliments contaminés. Une fois ingérée, la bactérie V. cholerae colonise la paroi interne de l’intestin, provoquant une diarrhée aqueuse qui, si elle n’est pas traitée, peut entraîner une déshydratation sévère et la mort.
Le choléra reste un problème, notamment dans les régions sous-développées ou touchées par une crise. L’OMS rapporte que la septième pandémie de choléra en cours est responsable de près de quatre millions d’infections et de 143 000 décès par an.
Le transfert horizontal de gènes
Seules quelques souches de V. cholerae peuvent entraîner une maladie pandémique, la plupart étant des organismes aquatiques inoffensifs. Cela s’explique par le fait que les souches pandémiques ont acquis des «boîtes à outils» spécialisées de gènes et d’autres éléments génétiques appelés «îlots de pathogénicité», qui peuvent transformer la bactérie en agent pathogène.
Les souches à l’origine des pandémies de choléra ont acquis des îlots de pathogénicité par un processus connu sous le nom de «transfert horizontal de gènes», par lequel les bactéries partagent des gènes au sein d’une même espèce et entre espèces. Le transfert horizontal de gènes est un puissant moteur de l’évolution bactérienne, car il permet de doter rapidement les bactéries de nouvelles capacités qui les aident à s’adapter et à survivre. Mais il ne fait pas de distinction, transmettant des gènes inutiles ou même nuisibles à leur nouvel hôte.
Le transfert horizontal de gènes implique souvent des plasmides, des morceaux d’ADN circulaires autoreproducteurs présents dans les bactéries et pouvant porter jusqu’à des centaines de gènes. Pourtant, les souches de V. cholerae à l’origine de la 7e septième pandémie de choléra actuellement en cours ne portent que rarement des plasmides, alors que ces derniers sont abondants dans les souches apparentées isolées de l’environnement et non des patientes et patients.
Ce phénomène surprenant a attiré l’attention des scientifiques de l’EPFL, qui ont décidé de l’étudier. «Nous avons voulu savoir pourquoi les plasmides sont si rares dans le 7e clade pandémique de V. cholerae ce qui nous a permis de comprendre comment les agents pathogènes bactériens évoluent», explique la professeure Melanie Blokesch qui dirige l’étude avec Milena Jaskólska et David W. Adams de la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL.
Le mystère des plasmides manquants
Tout d’abord, les chercheuses et chercheurs ont introduit un petit plasmide modèle dans des souches de V. cholerae provenant des 6e et 7e pandémies, ainsi que dans des souches non pandémiques isolées de différents plans d’eau. Ensuite, ils ont suivi la stabilité du plasmide au cours de nombreuses générations. De manière étonnante, le plasmide modèle a persisté dans toutes les souches, mais il a été rapidement éliminé de celles de la 7e pandémie.
Deux systèmes de défense de l’ADN
Encouragés, les scientifiques ont utilisé des méthodes de génie génétique pour identifier les parties du génome de V. cholerae responsable de cette perte. Cette approche a abouti à la découverte de deux nouveaux systèmes de défense qui fonctionnent ensemble pour éliminer les plasmides, et qui sont codés dans deux îlots de pathogénicité distincts.
Dans un article publié dans la revue Nature, les chercheuses et chercheurs ont nommé les systèmes «Modules de défense de l’ADN» (Ddm). Le premier, DdmDE, est constitué de deux protéines qui ciblent et dégradent les petits plasmides dans un processus aidé par un second système de défense, DdmABC.
Ce second système s’est avéré avoir un rôle beaucoup plus vaste dans la défense bactérienne. Non seulement il peut favoriser l’élimination des petits plasmides, mais il peut se retourner contre la cellule hôte, dégradant son ADN et déclenchant une forme de suicide cellulaire. En fait, le DdmABC protège la population bactérienne contre les virus en tuant les cellules infectées avant que le virus ait le temps de se répliquer et de se propager.
L’équipe a également découvert que le DdmABC cible les grands plasmides qui portent souvent de grands réseaux de gènes conférant une résistance aux antibiotiques et qui peuvent persister en passant d’une bactérie à l’autre, propageant ainsi la multirésistance aux médicaments. «Cette découverte pourrait expliquer pourquoi les souches pandémiques récentes sont principalement porteuses d’une résistance aux antibiotiques intégrée dans leur génome et non sur des plasmides», ajoute Melanie Blokesch.
Vers des eaux inconnues
«L’activité combinée de ces deux systèmes de défense résout le mystère longtemps irrésolu des plasmides manquants dans les souches de V. cholerae de la 7e pandémie», déclarent les chercheurs. «Notre découverte donne aussi à penser que la capacité des souches de la 7e pandémie à se défendre contre les éléments génétiques mobiles a probablement joué un rôle important dans leur évolution et leur succès.»