Des mondes engloutis sous le Pacifique ?
En bref
- Les spécialistes de la Terre utilisent un modèle à haute résolution pour étudier le manteau terrestre. Ils et elles espèrent l'utiliser pour découvrir où se trouvent les plaques qui se sont enfoncées à l'intérieur de la Terre.
- La nouvelle modélisation révèle des zones situées sous le Pacifique occidental où aucun matériau de ce type n'a été découvert à ce jour et où, selon les théories actuelles, il ne devrait pas se trouver.
- Ces résultats remettent en question notre compréhension actuelle du fonctionnement de la Terre. C'est pourquoi des modèles encore plus performants sont nécessaires pour définir ce matériau avec plus de précision.
Personne ne peut voir l'intérieur de la Terre. Personne ne peut non plus forer suffisamment profondément pour prélever des échantillons de roches dans le manteau, la couche située entre le noyau de la Terre et la couche la plus externe et rigide, la lithosphère, ou pour y mesurer la température et la pression. C'est pourquoi les géophysiciennes et géophysiciens utilisent des méthodes indirectes pour voir ce qui se passe sous nos pieds.
Par exemple, ils et elles utilisent les sismogrammes, ou enregistrements des tremblements de terre, pour déterminer la vitesse de propagation des ondes sismiques. Elles et ils utilisent ensuite ces informations pour calculer la structure interne de la Terre. Cela ressemble beaucoup à la façon dont les médecins utilisent les ultrasons pour obtenir des images des organes, des muscles ou des veines à l'intérieur du corps sans l'ouvrir.
Les ondes sismiques fournissent des informations
Voici comment cela fonctionne : lorsque la Terre tremble, des ondes sismiques se propagent dans toutes les directions à partir de l'épicentre. En traversant la Terre, elles sont réfractées, diffractées ou réfléchies. La vitesse de propagation des ondes dépend du type d'onde, mais aussi de la densité et de l'élasticité du matériau traversé. Les stations sismographiques enregistrent ces différentes ondes et, sur la base de ces enregistrements, les géophysiciens et géophysiciennes peuvent tirer des conclusions sur la structure et la composition de la Terre et examiner les processus qui se déroulent à l'intérieur de celle-ci.
Grâce aux enregistrements sismiques, les spécialistes de la Terre ont déterminé la position des plaques tectoniques immergées dans le manteau terrestre. Elles et ils les ont toujours trouvées là où ils et elles s'y attendaient : dans une zone connue sous le nom de «zone de subduction», où deux plaques se rencontrent et où l'une d'entre elles plonge sous l'autre à l'intérieur de la Terre. Cela a aidé les scientifiques à étudier le cycle tectonique des plaques, c'est-à-dire l'émergence et la destruction des plaques à la surface de la Terre, tout au long de l'histoire de notre planète.
Des restes de plaques là où il ne devrait pas y en avoir
Or, une équipe de géophysiciens et géophysiciennes de l'ETH Zurich et du California Institute of Technology a fait une découverte surprenante : à l'aide d'un nouveau modèle à haute résolution, elles et ils ont découvert d'autres zones à l'intérieur de la Terre qui ressemblent à des vestiges de plaques submergées. Pourtant, ces zones ne se trouvent pas là où l'on s'y attendait : elles sont situées sous de grands océans ou à l'intérieur des continents, loin des frontières de plaques. Il n'y a pas non plus de preuve géologique d'une subduction passée à cet endroit. Cette étude a été publiée récemment dans la revue Scientific Reports.
Ce qui est nouveau dans leur approche de modélisation, c'est que les chercheuses et chercheurs de l'ETH Zurich n'utilisent pas seulement un type d'onde sismique pour étudier la structure de l'intérieur de la Terre, mais tous les types d'ondes sismiques. Les experts et expertes appellent cette procédure l'inversion de la forme d'onde complète. C'est pourquoi les scientifiques ont utilisé le superordinateur Piz Daint du CSCS de Lugano. Alors, existe-t-il un monde perdu sous l'océan Pacifique ?
«Apparemment, de telles zones dans le manteau terrestre sont beaucoup plus répandues qu'on ne le pensait», explique Thomas Schouten, premier auteur et doctorant à l'Institut de géologie de l'ETH Zurich.
L'une des zones nouvellement découvertes se trouve sous le Pacifique occidental. Cependant, selon les théories et les connaissances actuelles en matière de tectonique des plaques, il ne devrait pas y avoir de matériaux provenant de plaques subductées à cet endroit, car il est impossible qu'il y ait eu des zones de subduction à proximité au cours de l'histoire géologique récente. Les chercheurs et chercheuses ne savent pas avec certitude de quel matériau il s'agit et ce que cela signifierait pour la dynamique interne de la Terre. «C'est là notre dilemme. Avec le nouveau modèle à haute résolution, nous pouvons voir de telles anomalies partout dans le manteau terrestre. Mais nous ne savons pas exactement ce qu'elles sont, ni quel matériau crée les motifs que nous avons découverts».
C'est comme un médecin qui examine la circulation sanguine par ultrasons depuis des décennies et qui trouve des artères exactement là où il s'y attend, explique Andreas Fichtner, professeur à l'ETH Zurich. «Puis, si vous lui donnez un nouvel outil d'examen plus performant, il voit soudain une artère dans la fesse qui n'y a pas vraiment sa place. C'est exactement ce que nous pensons de ces nouvelles découvertes», explique le physicien des ondes. Il a développé le modèle au sein de son groupe et a écrit le code.
Extraire plus d'informations des ondes
Pour l'instant, les scientifiques ne peuvent que spéculer. «Nous pensons que les anomalies dans le manteau inférieur ont des origines diverses», déclare Thomas Schouten. Il pense qu'il est possible qu'il ne s'agisse pas simplement de matériaux de plaques froides qui se sont subductées au cours des 200 derniers millions d'années, comme on le supposait auparavant. «Il pourrait s'agir soit d'un matériau ancien, riche en silice, présent depuis la formation du manteau il y a environ 4 milliards d'années et qui a survécu malgré les mouvements convectifs du manteau, soit de zones où des roches riches en fer se sont accumulées à la suite de ces mouvements du manteau pendant des milliards d'années», note-t-il.
Pour le doctorant, cela signifie avant tout qu'il faut poursuivre les recherches avec des modèles encore plus performants pour découvrir d'autres détails de l'intérieur de la Terre. «Les ondes que nous utilisons pour le modèle ne représentent essentiellement qu'une seule propriété, à savoir la vitesse à laquelle elles se déplacent à l'intérieur de la Terre», explique le chercheur en sciences de la Terre. Mais cela ne rend pas justice à la complexité de l'intérieur de la Terre. «Nous devons calculer les différents paramètres matériels susceptibles de générer les vitesses observées des différents types d'ondes. En fait, nous devons approfondir les propriétés matérielles à l'origine de la vitesse de l'onde», explique Thomas Schouten.