Recherche, apprentissage, adaptation
En automne 2014, le volcan islandais Holuhraun est entré en éruption, crachant quotidiennement jusqu'à environ 120'000 tonnes de dioxyde de soufre dans l'air. Une épaisse ceinture de minuscules particules, également appelées aérosols - un polluant atmosphérique notoire - s'est formée dans l'atmosphère au-dessus de cette région par ailleurs pratiquement vierge. Cette éruption volcanique a servi de très bonne expérience naturelle qui a permis aux climatologues d'étudier comment la soudaine remontée de particules affectait les nuages. «Comme les aérosols peuvent favoriser la formation de gouttelettes de nuages, ils constituent un facteur important dans la prévision du changement climatique, mais nous en savons encore très peu à ce sujet», explique Yu Wang. Cette scientifique environnementale de 30 ans effectue depuis septembre 2021 des recherches en tant qu'ETH Fellow à l'Institut de l'atmosphère et du climat de l'ETH Zurich dans le groupe d'Ulrike Lohmann, professeure de physique atmosphérique.
Yu Wang parle avec enthousiasme d'une étude - publiée récemment dans Nature Geoscience - qu'elle, son mari Ying Chen et Ulrike Lohmann ont cosigné·es avec d'autres chercheurs et chercheuses du British Met office, des universités d'Exeter, de Cambridge, de Leeds (Royaume-Uni) et de Munich (Allemagne) et de la NASA (États-Unis). Elle rit chaleureusement de temps à autre, manifestement ravie de l'intérêt porté à ses résultats. «Je suis vraiment enthousiasmée par mon travail», dit-elle. «Les émissions qui affectent le climat se divisent essentiellement en deux groupes : les gaz à effet de serre et les aérosols.» Les gaz à effet de serre réchauffent la planète, tandis que les aérosols contrecarrent cet effet principalement par la formation de nuages.
«Les nuages agissent comme un parapluie pour la Terre, la refroidissant», explique YuWang, en écartant les bras pour illustrer son propos. Mais le problème, ajoute-t-elle, est que nous ne sommes pas en mesure de quantifier avec précision le fonctionnement des aérosols et de l'effet refroidissant des nuages. Selon le Groupe d'experts et expertes intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), les aérosols sont la principale source d'incertitude lorsqu'il s'agit de comprendre l'impact de l'humanité sur le climat actuel.
Aussi, lorsque l'Islande a connu son éruption volcanique, les climatologues ont sauté sur l'occasion d'étudier les effets des aérosols libérés lors de cet événement : ils et elles ont comparé les nuages au-dessus de l'Atlantique Nord en automne 2014 avec la situation des années précédentes et suivantes. Mais cette comparaison s'est avérée peu concluante car la formation des nuages dépend aussi largement de la météo, qui était différente pendant l'éruption de celle des autres années.
Des météorologues fabriqué·es par des machines
«Nous avons également utilisé l'éruption volcanique dans notre travail», explique Yu Wang. «Mais ce que nous avons fait, c'est appliquer une méthode d'apprentissage automatique qui peut nous dire comment sont les nuages dans certaines conditions météorologiques.» Il est ainsi possible d'utiliser les données des années «propres» pour déterminer quelle aurait été la situation des nuages en 2014 s'il n'y avait pas eu d'éruption. «C'est comme avoir une prévision météorologique», explique Yu Wang. En comparant la prévision par apprentissage automatique de la situation des nuages moins l'éruption de Holuhraun avec les données des nuages des mêmes mois des années avant et après l'éruption, il est possible de dire que la différence est entièrement due aux aérosols.
Le résultat de cette étude a surpris les chercheuses et chercheurs car il contredit les notions précédentes. «Il est également important de savoir, explique Yu Wang, que les interactions entre les aérosols et les nuages produisent deux effets différents.» Une augmentation des émissions entraîne un nombre plus élevé de gouttelettes de nuages, mais celles-ci sont plus petites. Les nuages sont donc plus brillants, ce qui signifie qu'ils réfléchissent davantage la lumière du soleil vers la Terre. Un nombre plus élevé de petites gouttelettes signifie également que les nuages peuvent retenir plus d'eau avant qu'il ne pleuve, ce qui signifie que les nuages durent plus longtemps. «On pensait auparavant que c'était la luminosité des nuages qui dominait l'effet de refroidissement, mais nous avons découvert que la durée de vie d'un nuage ou la formation de nouveaux nuages est plus importante», explique Yu Wang. Globalement, les aérosols libérés par l'éruption volcanique ont augmenté la couverture nuageuse d'environ 10%.
Yu Wang a commencé à s'intéresser aux particules bien avant de devenir chercheuse en climatologie. «Je suis née près de Pékin, où l'air est très pollué», explique-t-elle. «Je voulais savoir pourquoi la qualité de l'air dans ma ville natale était tellement plus mauvaise qu'en Europe ou aux États-Unis.» Elle a étudié les sciences de l'environnement à Changchun et à Pékin et a décidé d'utiliser son mémoire de maîtrise pour découvrir pourquoi la concentration de polluants responsable de la pollution atmosphérique de Pékin est si élevée. «Au cours de mes observations sur le terrain, j'ai remarqué que la situation dans l'atmosphère réelle était si complexe que pour mieux la comprendre, il faudrait travailler en laboratoire», explique Yu Wang.
De la Chine au Royaume-Uni
Pour ses études de doctorat, Yu Wang a été acceptée à l'Université de Manchester ; elle a quitté la Chine pour le Royaume-Uni en 2017. «Une étape massive», note-t-elle avec un soupir, avant de rayonner à nouveau et d'ajouter : «Je suis toujours enthousiaste à l'idée de découvrir de nouvelles choses». À Manchester, elle a travaillé avec une chambre expérimentale, dans laquelle elle pompait du gaz pour observer la formation d'aérosols. «C'est alors que j'ai réalisé qu'en plus d'être des polluants atmosphériques, les aérosols favorisent la formation de nuages et influencent ainsi le climat», explique-t-elle. «C'est à ce moment-là que j'ai commencé à faire de la recherche sur le climat».
Yu Wang souligne que l'étude qu'elle a récemment publiée sur les interactions entre les aérosols et les nuages se démarque de ses travaux précédents, car elle est basée sur des méthodes d'apprentissage automatique plutôt que sur des modèles climatiques. Comme données d'entrée, l'équipe de recherche a utilisé des observations par satellite de la couverture nuageuse. Elle a alimenté la machine avec des données recueillies par des instruments embarqués à bord de deux satellites de la NASA sur une période de plus de 20 ans. La NASA s'est chargée du traitement et de l'analyse des données. «Pour utiliser l'apprentissage automatique, nous avons besoin d'un ensemble massif de données», explique Yu Wang. «Les observations réalisées entre 2000 et 2020 nous rendent très confiantes et confiants dans le fait que notre méthode fonctionne».
La prochaine étape de l'équipe sera d'essayer de canaliser leurs nouvelles découvertes dans les modèles climatiques existants. «Nous voulons encourager l'ensemble de la communauté des chercheuses et chercheurs à adapter leurs modèles pour tenir compte de nos observations», déclare Yu Wang. Elle espère que cela permettra d'obtenir de meilleurs modèles climatiques capables de fournir des prévisions plus fiables.
Mais Yu Wang admet qu'il ne s'agit que d'une étude pilote et qu'une seule éruption volcanique ne constitue pas une base adéquate. C'est pourquoi les cherrcheuses et chercheurs travaillent également sur d'autres événements qui ont déclenché une augmentation ou une diminution des émissions d'aérosols, comme les observations effectuées avant et pendant la pandémie de coronavirus. «Nous espérons que nos efforts permettront de fournir davantage de preuves dans un avenir proche et de rendre les conclusions plus précises», déclare-t-elle.
L'évocation du coronavirus a un effet dégrisant sur Yu Wang. Avant la pandémie, ses parents et ses ami·es pouvaient lui rendre visite au Royaume-Uni, et elle se rendait en Chine pendant les vacances. «Cela fait maintenant trois ans que nous ne nous sommes pas vu·es», dit-elle. «Je trouve cela difficile.» Elle est heureuse de planifier le voyage pour les retrouver bientôt, maintenant que la Chine a assoupli les restrictions. Mais pour l'instant, elle et son mari - chercheur en climatologie à l'Institut Paul Scherrer - se sentent chez eux en Europe.
Se laisser inspirer
Pour trouver de nouvelles inspirations, Yu Wang aime faire de la randonnée ou partir en voyage avec son mari. C'est lors d'un voyage au bord de la mer à Teignmouth, près d'Exeter, qu'il et elle ont eu l'idée d'utiliser l'apprentissage automatique dans le cadre de cette passionnante recherche sur le climat.
En tant que spécialiste des nuages, les gens demandent souvent à Yu Wang s'il serait possible de ralentir le réchauffement climatique en créant artificiellement des nuages. «Cela relève de la géo-ingénierie», répond-elle, et elle cite deux propositions actuellement à l'étude : la première consiste à injecter des aérosols dans la stratosphère ; la seconde à pomper des particules de sel marin dans les nuages au-dessus des océans. «Mais cela reviendrait davantage à donner au monde un antidouleur qu'un véritable remède». Qui plus est, la Terre est un système tellement complexe que ces interventions pourraient s'avérer très dangereuses. «C'est pourquoi tous les projets de géo-ingénierie ont été mis au placard», dit-elle.
Mais Yu Wang reste optimiste et pense que presque toutes les situations ont leur bon côté - même les inondations, sécheresses et canicules extrêmes qui deviennent de plus en plus fréquentes. «Même les sceptiques du réchauffement climatique commencent à voir l'importance de cette question», dit-elle, ajoutant que sa devise est «recherche, apprentissage, adaptation».