Déterminer précisément les concentrations toxiques
Quel est le niveau de dangerosité des produits chimiques présents dans les cours d’eau pour les êtres vivants aquatiques? Pour répondre à cette question, il faut notamment procéder à des essais sur les organismes ou – toujours plus fréquemment – sur des cellules isolées qui peuvent remplacer les analyses sur les organismes. L’institut de recherche de l’eau Eawag effectue des recherches en ce sens et développe ce type de tests d’écotoxicité. Kristin Schirmer, cheffe du département Toxicologie de l’environnement et professeure titulaire à l’ETH Zurich et à l’EPFL explique: «Nous voulons pouvoir déterminer très précisément quels effets apparaissent selon les concentrations d’un produit chimique.» Car en pratique, ces résultats ont une incidence sur l’évaluation écotoxicologique des substances chimiques, qui peut ensuite être intégrée au débat politique et aux procédures d’agrément.
Des résultats d’essais difficiles à interpréter
Jusqu’à présent, les scientifiques du monde entier étaient confrontés à un problème: lorsque de faibles volumes d’essai sont utilisés – et c’est de plus en plus souvent le cas pour les procédures d’essai modernes partiellement automatisées – la concentration d’une substance chimique utilisée sur les supports d’échantillons (appelés plaques de micro-titration) ne correspond plus exactement à la concentration à laquelle est exposée la cellule ou l’organisme lors de l’essai. Cela peut en fausser le résultat parce que la toxicité d’une substance chimique peut, le cas échéant, être sous-estimée.
Comment est-ce possible? «Il existe par exemple des substances chimiques très volatiles qui s’évaporent pendant l’essai. Ou d’autres qui s’attachent à la paroi de la plaque de micro-titration et sont par conséquent moins disponibles pour les cellules», explique Kristin Schirmer. Les deux effets peuvent être amplifiés dans les petits volumes en raison d’un rapport volume-surface défavorable associé à une faible quantité de matériel biologique. Toutefois, renoncer aux essais à petite échelle serait une erreur selon Kristin Schirmer, car les faibles quantités de produits chimiques et la possibilité d’étudier de nombreuses variantes d’essais en parallèle sont efficaces et économes en ressources.
C’est pourquoi les scientifiques surmontaient jusqu’à présent cette difficulté en mesurant la concentration pendant les expériences. Cela donnait certes des résultats plus précis, mais demandait beaucoup de temps, de matériel et d’argent. «C’est un peu comme si on faisait une seconde expérience en même temps», explique Kristin Schirmer. L’objectif était donc clair: trouver un moyen de prédire exactement les concentrations, sans les mesurer.
Un modèle informatique apporte une solution
Une équipe de scientifiques dirigée par Julita Stadnicka-Michalak, une ancienne scientifique du groupe de Kristin Schirmer, a développé une solution élégante pour remédier à ce problème: un modèle informatique qui permet de prédire avec précision quelles concentrations affecteront réellement les cellules, en fonction de la substance chimique et des plaques de micro-titration utilisées. Ainsi, l’attractivité et la pertinence des essais sont démultipliées sans avoir à effectuer des mesures chimiques complexes. Le modèle Eawag a été présenté pour la première fois au public fin février dans la revue scientifique Scientific Reports des prestigieuses éditions Nature.
Kristin Schirmer est conquise par ce nouveau modèle: «Contrairement aux modèles théoriques existants, celui-ci est plus précis et plus simple à utiliser. Les paramètres à connaître et à remplir sont beaucoup moins nombreux que pour les modèles précédents. C’est tout à fait exceptionnel – et bien mieux que ce à quoi je m’attendais.»
Un large domaine d’application
Le succès repose sur des données empiriques mesurées et documentées systématiquement pour chaque expérience par les scientifiques au cours des dernières années. Ces séries de données exhaustives ont ensuite été utilisées pour le développement du modèle informatique, le tout premier du genre. Le modèle a été validé à l’aide de séries d’essais qui ont permis aux chercheuses et chercheurs de démontrer que la concentration calculée dans la plaque de micro-titration correspond précisément à la concentration effectivement mesurée.
Alors que Kristin Schirmer s’attendait à ce que le modèle ne fonctionne bien qu’avec les cellules de poisson, elle a été surprise de constater qu’il peut être très facilement et simplement transposé à d’autres types de cellules, comme celles des algues, ou à l’embryon du poisson-zèbre comme organisme d’essai, mais aussi à de nombreuses substances chimiques et à différents formats de plaques de micro-titration. Désormais, l’équipe utilisera le modèle pour tous les essais tout en continuant à l’évaluer et à le développer. Kristin Schirmer est convaincue qu’il suscitera un fort intérêt auprès d’autres groupes de chercheuses et chercheurs, et que son domaine d’application ne se limite pas à la recherche fondamentale: «Nous prévoyons par exemple de transposer prochainement le modèle à des applications industrielles dans le cadre de notre entreprise spin-off Aquatox-Solutions.»