Favoriser la terre crue au lieu du béton pour changer de paradigme
Le secteur de la construction contribue à 39% des taux d’émission de gaz à effet de serre au niveau mondial, dont 11% résultent directement de la fabrication de matériau de construction tels que l’acier, le ciment et le verre. Le recours systématique au béton représente actuellement l’un des principaux freins à la réduction de ce lourd bilan carbone. Changer cette pratique est ainsi devenu la priorité de nombreuses et nombreux architectes et ingénieurs sensibilisés à cet enjeu. C’est le cas de Jeremy Morris, qui, dans le cadre de son travail de master en architecture à l’EPFL, s’est intéressé au cycle du béton dans le canton de Vaud. Son étude a identifié trois mesures qui ouvrent des pistes pour en réduire l’usage en favorisant celui de la terre crue. Le diplômé présentera son travail le 30 septembre, lors de la Quinzaine de l’Urbanisme de Genève.
Actuellement, la terre excavée lors de construction est l’un des plus grands déchets au monde. En Suisse, et pour chaque canton, l’équivalent d’une pyramide de Khéops, soit 2 millions de mètres cubes, sort de terre chaque année. Ce matériau d’excavation, considéré par la loi comme un déchet, est traité et épandu sur les terres agricoles, surélevant les cultures de plusieurs mètres, atteignant parfois la saturation. Comment mieux valoriser ce matériau durable et recyclable dans la construction? C’est ce qu’a voulu comprendre le jeune architecte, également vidéaste.
Changer la loi
Pour y parvenir, l’étudiant a dessiné une carte du Canton de Vaud en identifiant toutes les étapes du secteur de la construction, des zones d’extraction de la Sarraz, qui servent à produire du ciment, aux 67 zones de décharge. «Dans le Canton de Vaud, les entreprises qui fabriquent le béton sont les mêmes que celles qui creusent la terre lors de nouveaux chantiers. Elles n’ont donc aucun intérêt à réinjecter ce matériau dans la construction», explique d’entrée de jeu Jeremy Morris, qui s’est rendu sur place pour y tourner de nombreuses images.
L'architecte propose donc comme première mesure de changer le statut juridique du matériau excavé, afin de le faire passer de «déchet» à «ressource». «La terre crue peut être construite et déconstruite, ce qui est plus difficile pour le béton, dont l’usage devrait vraiment se limiter aux éléments structurels des bâtiments et aux infrastructures de génie civil», commente le diplômé.
Soutien financier
Le recours à la terre crue est toutefois onéreux face au béton, qui reste la solution la meilleure marché, malgré son lourd impact environnemental. L’architecte propose donc comme deuxième mesure un soutien étatique à ce type de construction, jusqu’à ce qu’une véritable économie circulaire se mette en place. «La France a récemment construit près de 400 logements en terre crue provenant d’excavations faites à Paris grâce à un soutien européen», illustre l’architecte, qui cite aussi des exemples belges. Le savoir-faire dans ce type de construction est assez développé en Suisse, mais son implémentation dans la construction pourrait être plus avancée, selon l’architecte.
Formation et recherche
Sa dernière mesure promulgue donc la formation continue en pisé et en terre crue, deux techniques qui recourent à l’usage de matériau durable et renouvelable, pour limiter le recours systématique au béton des praticiennes et praticiens en place. Elle demande aussi logiquement une intégration pleine et entière de cette formation aux cursus académiques suisses des métiers de la construction ainsi qu’un soutien financier à la recherche dans cette technique, afin d’en améliorer encore le potentiel.
«Je ne suis pas naïf, je sais que ces mesures exigent beaucoup d’efforts», souligne l’architecte. «Mais un changement radical au niveau de la vision et de la philosophie de la pratique architecturale et constructive doit être opéré, en mettant en place des processus plus coopératifs entre les systèmes, afin d’atteindre une économie plus circulaire». Jeremy Morris a construit lui-même des briques en terre crue durant son projet de master, pour comprendre la logistique de production du matériau et le sentir de ses propres mains. «Cette étape m’a encore plus convaincu de la beauté de cette technique et de sa pertinence.»