Une cartographie spatiale de l'expression génique
À mesure que nous accumulons de plus en plus d’informations sur le séquençage des gènes, la taille et la complexité des bases de données de types cellulaires s’accroissent. Il devient nécessaire de comprendre où les différents types de cellules sont situés dans le corps, et de cartographier l’organisation de l’expression de leurs gènes en fonction de leur emplacement précis dans les différents tissus et organes. En effet, un gène peut être exprimé activement dans une cellule et réprimé dans une autre.
L’une des méthodes de cartographie des gènes dans les tissus repose sur la technique appelée hybridation in situ. Pour simplifier, un gène cible est marqué («hybridé») avec un marqueur fluorescent dans les coupes du tissu où il se trouve («in situ»). Les coupes de tissu sont ensuite observées à l’aide d’un microscope spécial permettant de voir les endroits où le gène «s’éclaire». Les photographies consécutives de chaque coupe sont alors rassemblées pour générer une carte «spatiale» de l’emplacement du gène dans le tissu.
Le problème des méthodes utilisant l’hybridation in situ tient au fait que lorsque le nombre de gènes cibles augmente, leur complexité s’accentue, un équipement spécial devient nécessaire et les chercheurs sont amenés à sélectionner leurs cibles en amont, processus pouvant s’avérer laborieux si l’objectif est de reconstruire une carte complète de la répartition des gènes dans les tissus.
«Organisation spatiale» des données de séquençage
Or, les chercheurs de la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL viennent de créer un algorithme de calcul appelé Tomographer, capable de transformer les données de séquençage des gènes en données à résolution spatiale, par exemple des images, sans avoir besoin d’un microscope. Ce travail, mené par le groupe de recherche de Gioele La Manno, est désormais publié dans Nature Biotechnology.
Dans la nouvelle technique du Tomographer, le tissu est d’abord découpé le long de l’axe étudié en sections consécutives, chacune est ensuite découpée en bandes de tissu selon différents angles. Les cellules des bandes sont alors décomposées pour recueillir leur ARN messager global (ARNm). Chaque ARNm correspond à un gène qui était actif dans la cellule. Les mesures résultant des bandes peuvent ensuite être utilisées comme données d’entrée de l’algorithme Tomographer pour reconstruire l’organisation spatiale de l’expression génique à travers le tissu.
«L’algorithme Tomographer ouvre une voie solide et prometteuse vers la «résolution spatiale» de différentes techniques de mesure génomique», explique Gioele La Manno. En pratique, les chercheurs ont utilisé Tomographer pour obtenir la cartographie spatiale de l’anatomie moléculaire du cerveau du dragon barbu d’Australie (Pogona vitticeps), un organisme non modèle, ce qui démontre la polyvalence de l’algorithme.
«Depuis le début de mes études de médecine, je suis admiratif de la façon dont la tomodensitométrie a révolutionné notre méthode d’observation des organes et des parties du corps,» explique Christian Gabriel Schneider, l’un des investigateurs principaux de l’étude. «Je suis très fier aujourd’hui de faire partie d’une équipe qui a développé une technologie de tomographie moléculaire. Pour l’instant, nous nous focalisons sur les applications de biologie du neurodéveloppement, mais à l’avenir, il est tout à fait possible d’imaginer que la tomographie moléculaire devienne un élément constitutif de la médecine personnalisée.»
«Nous avons eu l’opportunité exceptionnelle de développer une méthode de calcul flexible et accessible, capable de faciliter les progrès des sciences de la santé» ajoute Halima Hannah Schede, co-investigatrice principale de l’étude. «Je suis très impatiente de voir quelles autres formes de résolutions spatiales seront révélées par Tomographer pour des données biologiques.»
Le docteur Gioele La Manno est le premier bénéficiaire du programme ELISIR (EPFL Life Sciences Independent Research), une bourse d’études révolutionnaire qui offre aux diplômés de doctorat au talent exceptionnel une indépendance de recherche telle qu’ils ne pourraient normalement l’obtenir que bien plus tard dans leur carrière. Cliquez ici pour lire l’entretien avec le docteur La Manno.