Rendre les canicules plus supportables en ville

Les plantes et l’eau atténuent la chaleur dans les villes. À l’exemple de Zurich, les chercheuses et chercheurs de l’Eawag ont testé un modèle climatique qui révèle l’ampleur de l’impact des surfaces vertes et bleues. Ce modèle offre un soutien au service d’urbanisme et montre où des améliorations auraient le plus d’effet.
Les espaces bleus-verts, comme la zone bordant la Limmat à proximité du centre-ville de Zurich, rafraîchissent l’environnement et contribuent à atténuer les effets du réchauffement climatique (istock, Michael Derrer Fuchs).

En raison du changement climatique, les périodes de canicule sont de plus en plus fréquentes, ce qui a un impact particulièrement négatif sur la santé humaine, les conditions de vie et les infrastructures. Le passage d’un revêtement de sol naturel à des matériaux artificiels tels que le béton et l’asphalte aboutit à une accumulation accrue de l’énergie, à une moindre évaporation de l’eau et à une réduction de l’aération. «Notre travail est de contribuer à trouver des solutions afin d’améliorer la qualité de vie des populations urbaines», déclare João Leitão, professeur à l’EPF Zurich et responsable de groupe au département Gestion des eaux urbaines de l’Eawag.

Des études ont montré qu’accroître les espaces verts et aquatiques est l’une des meilleures méthodes pour rafraîchir l’espace urbain extérieur. Mais de combien peut-on baisser la température sur un site donné? Des chercheuses et chercheurs australiens ont développé un modèle climatique nommé TARGET, abréviation de «The Air-temperature Response to Green/blue-infrastructure Evaluation Tool» pour répondre à cette question. «Nous avons analysé la pertinence des prévisions de TARGET, et étudié si cet instrument est adapté pour le service d’urbanisation», précise Leitão.

Un modèle simple et rapide

Contrairement à d’autres modèles numériques complexes, qui nécessitent de nombreux calculs, TARGET est simple et rapide. Il suffit de l’alimenter avec des données météorologiques générale ainsi que des données géographiques, en précisant de quels matériaux est recouverte la ville, la hauteur des bâtiments et la largeur des rues. TARGET calcule les prévisions de température des surfaces et de l’air pour les lieux concernés sur la base de ces banques de données. «Il s’agit en l’occurrence d’un modèle spatial», explique Jixuan Chen, doctorante au sein du groupe de Leitão et autrice principale de l’étude du modèle TARGET: «Le modèle montre par exemple que la température de l’air est plus élevée à un lieu donné parce qu’il y a plus de béton ou qu’il fait plus frais dans les secteurs boisés.»

Pour tester la cohérence des prévisions de TARGET avec la réalité, les chercheuses et chercheurs ont choisi Zurich pour une étude de cas – une région de 29 km2 qui englobe le cœur de ville au bord de la Limmat ainsi que les grandes collines vertes Käferberg et Zürichberg. Les températures de surface et de l’air ont été calculées pour divers lieux pendant une période de forte chaleur à l’été 2023.

Les résultats de la simulation ont ensuite été comparés avec les valeurs de températures mesurées sur place. Les scientifiques  se sont appuyé pour cela sur les données du service météorologique Meteoblue qui possède dans la région étudiée un réseau de plus de 40 stations, ainsi que des stations météo exploitées par des particuliers (Netatmo) qui procèdent bénévolement à des mesures de la température extérieure. Le résultat: «La simulation TARGET correspond bien aux données des réseaux météo privés», résume Chen: «Le modèle fournit des températures correctes, c’est donc un instrument fiable de prévision des températures des surfaces et de l’air dans les villes.»  

La température de l’air baisse de 1,2 degré Celsius

Lors d’une étape ultérieure, les chercheuses et chercheurs ont analysé comment les températures se distinguent dans des zones avec différentes proportions de surfaces bleues-vertes. «Nous voulions savoir comment la température de surface et de l’air se modifie lorsqu’on rend nos villes plus vertes,» explique Leitão. L’utilisation du modèle pour le cas d’étude Zurich a déterminé que la température de l’air baisse d’environ 1,2 degré Celsius lorsque les surfaces bleues-vertes de 0 à 20 % sont agrandies à 60-80 %. L’air se rafraîchit de 4 degrés Celsius supplémentaire si le site est transformé en une forêt urbaine. Il faisait en effet 5,2 degrés Celsius de moins sur le Käferberg qu’en centre-ville de Zurich pendant les jours d’été étudiés.

«1,2 degré Celsius en ville, ce n’est pas beaucoup», avoue Leitão: «Néanmoins, la transformation en vaut la peine. Les surfaces bleues-vertes remplissent en effet d’autres fonctions ou services écologiques.» Elles absorbent mieux l’eau de pluie, augmentent la biodiversité et formes des espaces de détente. Si l’on souhaite lutter encore davantage contre la chaleur, on pourrait par exemple créer des couloirs de vent qui apportent en centre-ville l’air frais des forêts environnantes. «Cela ferait probablement baisser la température d’un degré supplémentaire», estime Leitão: «Ce résultat n’est pas non plus énorme, mais tout cela peut vraiment contribuer à faire baisser la température de l’air.»

Les domaines dans lesquels les améliorations sont les plus efficaces

L’analyse des résultats de l’étude montre également le niveau de rafraîchissement que l’on peut attendre des divers types de revêtements bleus-verts du sol sur un site précis. Ainsi, les arbres s’avèrent deux fois plus efficaces que les gazons arrosés. Pour décider où l’intervention serait la plus efficace, les chercheuses et chercheurs ont en outre pris en compte le nombre de personnes présentes dans chaque secteur de Zurich, en utilisant les données de 20 stations automatiques de la ville de Zurich qui enregistrent toutes les 15 minutes le nombre de piétons et de cyclistes.

«Il faudrait prioriser les lieux peu verts avec un fort trafic piétonnier et cycliste», explique Chen: «C’est là que des modifications seraient les plus efficaces.» À Zurich, ce serait par exemple le nœud routier Bucheggplatz ou la Langstrasse très fréquentée. Dans une autre étude, Chen analyse de combien la température pourrait baisser pendant une vague de chaleur si l’on arrosait au préalable les rues, comme cela se fait au Japon.

«Grâce à TARGET, il est possible de comparer plusieurs scénarios de planification et de déterminer les endroits où une intervention apporte les meilleurs résultats», et Leitão de résumer: «Cet instrument est particulièrement bien adapté à la future urbanisation partout dans le monde.» C’est pourquoi, TARGET fera partie intégrante d’un module qui sera globalement accessible dans un logiciel pour les systèmes d’informations géographiques (QGIS). Les scientifiques de l’Eawag y travaillent avec leurs collègues en Australie, Suède et Belgique. «Ce logiciel peut gérer toutes les données d’entrée, de sorte que les urbanistes ou les architectes paysagers pourront bientôt utiliser facilement le modèle pour améliorer la qualité de vie dans les villes», explique Leitão.  

Publication originale

Chen, J.; Bach, P. M.; Nice, K. A.; Leitão, J. P. (2024) Investigating the efficacy of a fast urban climate model for spatial planning of green and blue spaces for heat mitigation, Science of the Total Environment, 955, 176925 (13 pp.), doi:10.1016/j.scitotenv.2024.176925, Institutional Repository