Live-seq: séquencer sans tuer la cellule

Une nouvelle technique préserve les cellules lors de l’extraction pour pouvoir suivre l’activité de milliers de gènes dans le temps. Cette méthode révolutionnaire, baptisée Live-seq, est le fruit d’une collaboration scientifique entre l’EPFL et l’ETH Zurich.
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Le séquençage de l’ARN permet d’étudier l’expression des gènes dans une cellule. L’ARNm (acide ribonucléique messager) étant synthétisé à partir d’une portion de l’ADN – correspondant à un gène –, l’information qu’il porte permet de connaître la séquence génétique originale. On est ainsi capable de mesurer l’activité de milliers de gènes (le transcriptome) des cellules.

La difficulté dans le séquençage ARN est de capturer l’ARNm d’une cellule spécifique au sein d’une population mixte – la plupart des cellules cohabitent dans la nature. Des scientifiques ont mis au point à cette fin le séquençage ARN de cellules uniques (single-cell RNA sequencing, scRNA-seq), qui ouvre des perspectives sans précédent en recherche fondamentale et biomédicale, et même pour le développement de médicaments.

Live-seq

Dans les groupes de recherche des professeurs Bart Deplancke, à l’EPFL, et Julia Vorholt, à l’ETH Zurich, on s’est penché sur un inconvénient du protocole scRNA-seq: la nécessité de lyser (tuer) les cellules. Les scientifiques, sous la direction du Dr Wanze Chen (EPFL) et de la Dre Orane Guillaume-Gentil (ETH Zurich), présentent Live-seq, une approche innovante peu invasive qui maintient les cellules en vie lors de l’extraction de l’ARN pour leur étude ultérieure.

La clé de son succès réside dans une technique appelée microscopie à force fluidique, ou FluidFM pour «fluidic force microscopy», dans laquelle les manipulations s’effectuent à l’aide de microcanaux plus fins qu’un cheveu permettant de maîtriser de très faibles volumes de liquide de l’ordre de femtolitres dans un échantillon, sous le microscope conçu à l’ETH Zurich il y a quelques années. La FluidFM offre la possibilité d’injecter des substances dans une cellule et de prélever du cytoplasme, y compris l’ARNm, de la cellule sans devoir la détruire.

L’avancée capitale à l’origine du Live-seq a été la prouesse des chercheuses et chercheurs d’extraire en le préservant l’ARNm (le transcriptome) de quantités aussi infimes d’échantillon cytoplasmique. Le Live-seq permet désormais de mettre en relation le transcriptome à un instant donné et le comportement moléculaire ou phénotypique ultérieur de la cellule, donc de suivre l’activité de milliers de gènes d’une cellule unique à des instants t discrets – on parle d’analyse transcriptomique temporelle.

«Grâce au Live-seq, nous pouvons aujourd’hui étudier des questions d’un grand intérêt en biomédecine, par exemple pourquoi certaines cellules se différencient mais pas leurs cellules sœurs, ou pourquoi certaines cellules résistent à un médicament anticancéreux alors que, là encore, leurs cellules sœurs ne le font pas», a expliqué Bart Deplancke.

«Le Live-seq peut répondre à de nombreuses questions biologiques en passant, en séquençage ARN de cellules uniques, d’une approche du point final à une approche analytique spatiotemporelle.»      Julia Vorholt, professeure à l'ETH Zurich

Les essais ont démontré que la méthode Live-seq assure une identification («stratification») précise de divers types et états cellulaires sans induire de perturbations significatives. Pour la preuve de concept, l’équipe a utilisé sa nouvelle plateforme pour établir directement la «trajectoire» de cellules immunitaires (macrophages) individuelles avant et après leur activation ainsi que de cellules stromales du tissu adipeux, un type de cellules souches, avant et après leur différenciation en adipocytes. Les scientifiques ont également exploité le Live-seq comme un «enregistreur transcriptomique» et pu prédire de cette manière avec quelle force, ou faiblesse, une cellule immunitaire réagirait lorsque confrontée à une situation immunologique particulière.

Leurs travaux sont publiés dans Nature. «Le Live-seq peut répondre à de nombreuses questions biologiques en passant, en séquençage ARN de cellules uniques, d’une approche du point final à une approche analytique spatiotemporelle», a déclaré Julia Vorholt.

Plus d'informations

Autres contributeurs

  • Institut Suisse de Bioinformatique
  • Académie chinoise des sciences

Financement

  • Fonds national suisse de la recherche scientifique
  • Precision Health & Related Technologies
  • EPFL
  • Programme clé national de R&D de la Chine
  • Programme de bourses Marie Skłodowska-Curie
  • Fondation Volkswagen
  • Conseil européen de la recherche – Advanced Grant
  • ETH Zurich

Références

Wanze Chen, Orane Guillaume-Gentil, Pernille Yde Rainer, Christoph G. Gäbelein, Wouter Saelens, Vincent Gardeux, Amanda Klaeger, Riccardo Dainese, Magda Zachara, Tomaso Zambelli, Julia A. Vorholt, Bart Deplancke, Live-seq enables temporal transcriptomic recording of single cells, Nature, 17 August 2022