La Suisse dépense-t-elle ses fonds climatiques à bon escient ?
Le biogaz domestique a été présenté pendant des années comme une intervention de développement «miracle» sur le continent africain : une technologie peu coûteuse et accessible qui peut fournir une source d'énergie durable1, lutter contre la déforestation2, gérer les déchets organiques3 et améliorer la santé.
Le biogaz est produit naturellement par des micro-organismes qui décomposent la matière organique par un processus de digestion anaérobie ; si vous avez déjà remarqué des bulles dans un marais, vous l'avez vu en action. Lorsque le processus est contrôlé dans un réacteur, la combinaison de méthane (CH4) et d'autres gaz qui en résulte est hautement inflammable et peut être directement utilisée pour la cuisson, l'éclairage ou la production d'électricité, remplaçant ainsi le bois de chauffage ou le charbon de bois comme combustible.
En outre, comme le méthane - un puissant gaz à effet de serre (GES) environ 28 fois plus nocif que le CO2 - est capturé et brûlé au lieu d'être libéré dans l'atmosphère, le biogaz peut réduire considérablement les émissions.
Une intervention tentante
Il n'est donc pas surprenant que les projets de biogaz soient devenus une cible populaire du financement des donateurs, proliférant à travers le Sud grâce au financement d'organisations telles que la Banque mondiale, les Nations unies et, de plus en plus, les fonds climatiques pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'étranger. Dans l'espace de l'aide internationale au développement, les fonds climatiques issus de la compensation des émissions de carbone sont de plus en plus importants, c'est-à-dire qu'ils constituent un moyen pour le Nord de payer ses péchés climatiques en transférant la charge des réductions d'émissions à d'autres. Ces dernières années, d'énormes sommes d'argent ont été dépensées pour d'innombrables projets de biogaz sur l'ensemble du continent africain.
La Suisse est un acteur majeur de ces marchés et a récemment signé un pacte bilatéral d'échange de droits d'émission de carbone avec le Malawi qui, entre autres projets d'atténuation, financera l'installation de 10'000 nouvelles installations de biogaz dans les foyers du pays.4 Bien que ces fonds représentent une énorme opportunité de transformer matériellement la vie de milliers de personnes, les projets de biogaz, d'après mon expérience, n'ont pas fait la preuve de ce potentiel.
Une histoire d'interventions ratées
En tant que scientifique, chercheur et gestionnaire de projet, j'ai passé la majeure partie des cinq dernières années à participer à des interventions de biogaz domestique dans toute l'Afrique subsaharienne. En outre, au sein du groupe Global Health Engineering (GHE), nous avons passé les deux dernières années à suivre et à cartographier les résultats du biogaz au Malawi, une enquête qui a englobé tous les investissements dans le domaine du biogaz dans la région sud du pays.
Bien que nous ayons vu plusieurs projets avec des résultats positifs, la tendance dominante a été celle de l'échec : des bénéficiaires désenchantés ou non engagées qui étaient des participantes ou participants passifs à leurs propres interventions, des douzaines de projets ratés ou abandonnés qui avaient été «parachutés» sur des ménages ruraux, et des millions de dollars dépensés sans bénéfice appréciable pour les habitants et habitantes ou l'environnement.5 Pourquoi ?
En tant que processus biologique, la digestion anaérobie peut être capricieuse, et les ménages manquent souvent d'eau, de ressources et de compétences techniques pour maintenir une telle infrastructure opérationnelle tout au long de l'année. Feriez-vous entrer du fumier dans une fosse tous les jours pour faire fonctionner votre fourneau de cuisine ? Et s'il tombait en panne, seriez-vous capable de le réparer ? Ou bien retourneriez-vous simplement à ce que vous faisiez auparavant ?
Au fil des ans, je suis littéralement tombé sur les ruines de centaines de projets de biogaz avortés ou abandonnés5, tristes rappels de projets mal conceptualisés et d'un manque de volonté fatal de la part des donatrices et donateurs, des praticiens et praticiennes et des universitaires de s'attaquer de manière critique à certaines questions difficiles concernant les résultats et les échecs des projets.
Ce dont le Malawi a besoin aujourd'hui
Si les compensations carbone sont utilisées pour financer des projets voués à l'échec dès le départ, quelle différence cela fait-il, si ce n'est une surprise feinte et des consultantes et consultants en aide au développement heureux qui passent facilement au projet suivant ? La Suisse, en tant que donatrice de premier plan et exportatrice de technologies, ne devrait pas légitimer un échec connu en matière de développement, simplement dans le but de respecter ses engagements en matière de carbone. Ceci est d'autant plus pertinent que les projets de compensation carbone ont récemment fait l'objet de critiques pour avoir surestimé leur impact sur le climat.6, 7
Pendant ce temps, le Malawi (l'un des plus faibles émetteurs de CO2 au monde) se trouve en première ligne de la lutte contre le changement climatique en Afrique australe. En mars de cette année, le pays a été frappé par le cyclone Freddy, et des inondations catastrophiques ont causé des centaines de morts et déplacé des dizaines de milliers de personnes. Le pays connaissait déjà une résurgence du choléra qui, dans le sillage du cyclone, risque de s'intensifier, et les dégâts causés aux infrastructures essentielles, notamment au système hydroélectrique, ramèneront le pays des décennies en arrière. Le Malawi a besoin d'une aide humanitaire et d'une aide au développement urgentes.
En outre, alors que les phénomènes météorologiques extrêmes devraient augmenter en fréquence et en intensité, quel rôle les fonds carbone, tels que ceux engagés par la Suisse, jouent-ils dans l'atténuation de ce fléau ? En investissant des millions dans des technologies dont le succès n'est pas avéré, dans un pays confronté à des problèmes de développement et d'environnement dévastateurs, contribuons-nous à la transformation radicale qui s'impose ?
Ne pas répéter les mêmes vieilles erreurs
Dans un article de 20225, mon coauteur, ma coautrice et moi avions souligné le manque d'esprit critique avec lequel les projets de biogaz ont été discutés tant par les responsables de la mise en œuvre que par les chercheurs et chercheuses. La littérature scientifique a tendance à se tourner vers l'avenir et à se concentrer sur les aspects positifs, en poursuivant le potentiel idéalisé, mais elle contient peu de commentaires sur ce qui se passe avec les projets sur le terrain. Nous soutenons que la façon dont nous parlons des échecs du biogaz et dont nous les internalisons doit faire l'objet d'une réflexion critique, et qu'il est nécessaire de débattre davantage du rôle du financement et des bailleurs de fonds dans les résultats des projets.
L'échange de droits d'émission de carbone devenant une source croissante de financement du biogaz, il convient d'appliquer ce même regard critique. Les projets carbone ne doivent pas devenir un exercice de cochage de cases, avec des décisions prises en Europe sur les fonds qui doivent être dépensés. Au contraire, les interventions doivent être motivées par les besoins sur le terrain et s'accompagner d'un processus scientifique capable de façonner la prise de décision et la mise en œuvre. Sinon, nous manquons une occasion d'utiliser les fonds carbone pour mettre en œuvre des changements significatifs, et des pays comme le Malawi continueront à souffrir de nos émissions et de notre consommation incontrôlée.