Soigner l'arthrose grâce à de l'exercice physique et de la chaleur
« Il n’existe pas de traitement pour soigner l’arthrose du genou. Seules des solutions paliatives pour diminuer les symptômes peuvent être proposées ». Dominique Pioletti, professeur et directeur du laboratoire d’orthopédie biomécanique de la faculté des sciences et techniques de l’ingénieur, travaille depuis de nombreuses années sur les problèmes de cartilage. Avec Naser Nasrollahzadeh qui a effectué sa thèse sur ce sujet, ils ont récemment démontré par des travaux en laboratoire qu’il pourrait être possible de ralentir, voire d’éviter, les signes précoces de l’arthrose grâce à des séances de physiothérapie combinées à l’application de chaleur directement sur le genou. Cette découverte est le fruit de plus de huit années de recherche et de trois thèses dans le domaine. Leurs dernières expériences sont publiées dans la revue eLife1.
La température du cartilage augmente lorsque l’on pratique une activité physique
Dans nos articulations, le cartilage agit comme un amortisseur entre les os. Avec le temps, il perd peu à peu de sa capacité à dissiper l’effet de chocs se produisant dans le genou. « Les facteurs déclenchant l’arthrose ne sont pas encore entièrement connus, mais une fois que le processus de dégénération du cartilage est entamé, il n’y a pas de possibilité d’inverser cette tendance qui, à terme, se manifeste par des douleurs dans le genou lésé, explique Dominique Pioletti. Mon équipe et moi-même, nous sommes demandés comment fonctionne le cartilage d’un point de vue biomécanique2. Par exemple, pour protéger les cellules se trouvant dans ce tissu lors de chocs et comment nous pourrions restaurer les propriétés initiales d’un cartilage dégénéré. »
Les scientifiques ont découvert que la combinaison d’une augmentation de la température du cartilage associée à une stimulation mécanique favorise la production de matrice cartilagineuse par ses cellules et donc préserve la qualité du cartilage. « Le cartilage ne contient pas de vaisseaux sanguins. Il a donc tendance à garder la chaleur lorsque l’on marche ou court », indique l’ingénieur. L’accumulation de chaleur dans le cartilage va induire une augmentation de sa température qui va passer de 32 degrés lorsque le genou est au repos à 37 degrés après qu’il soit sollicité durant un certain temps.
Des expériences in vitro
Pour arriver à ces premiers résultats, les doctorants qui travaillaient avec Dominique Pioletti ont servi de cobayes. Leurs genoux ont été scannés au repos, puis après avoir gravi huit étages d’un immeuble. Ainsi, il a pu être démontré que la température du cartilage augmente quand ce dernier subit un effort3.
Puis, les chercheurs ont décidé de reproduire cette expérience dans leur laboratoire. « Nous voulions vérifier ce qu’il se passe dans les cellules du cartilage quand il y a une hausse de la température et une activité physique simultanée », affirme Dominique Pioletti. Les scientifiques ont développé un bioréacteur dans lequel ils ont introduit des échantillons contenant des cellules de cartilage. Dans cette machine, ils ont appliqué une charge mécanique et ont contrôlé l’élévation de la température. « Lorsque les deux effets, mécanique et thermique, sont combinés, nous avons constaté que les cellules du cartilage ont tendance à exprimer en plus grandes quantités des gènes liés au maintien du cartilage », précise le professeur.
Sortir du cercle vicieux
Ces résultats pourraient s’avérer très utiles pour les personnes qui souffrent d’arthrose précoce. En effet, quand le cartilage commence à se dégénérer, il perd sa capacité d’accumuler de la chaleur, ce qui ne permet plus une augmentation de la température dans ce tissu. Et sans hausse de température, les cellules du cartilage ne fonctionnent plus de manière optimale. « C’est un cercle vicieux. Lorsque ce phénomène commence, on ne peut pas l’arrêter et la dégénération du cartilage aura tendance à s’amplifier. Cependant, si l’on chauffe le cartilage conjointement à un effort physique, nous pourrions stimuler les cellules pour qu’elles puissent à nouveau produire du tissu cartilagineux et éventuellement inverser la progression de la dégénérescence du cartilage », affirme le professeur. D’ici trois ans, les chercheurs seront capables de confirmer ou d’infirmer le lien entre création de cartilage, température et force mécanique. Ils prévoient de tester sur des patients souffrant d’arthrose précoce une combinaison de séances de physiothérapie et de traitement local chauffant le genou.
Une recherche sans animaux
Pour leurs expériences sur du cartilage, les scientifiques du laboratoire de Dominique Pioletti n’ont pas eu recours à l’expérimentation animale. Les échantillons représentant le cartilage employé sont issus de cultures cellulaires in vitro. « Pour nos tests, il n’était pas envisageable d’utiliser des animaux. Notamment parce que leur température corporelle diffère de celle des humains », explique le professeur. La prochaine étape consiste donc à observer et à analyser, entre autres à l’aide d’IRM, l’évolution de la qualité du cartilage de patients suivant les nouveaux traitements de physiothérapie.