Faire de la place à la biodiversité d’eau douce
«La perte de biodiversité en eau douce est une crise mondiale littéralement cachée sous la surface de l’eau», constate la professeure Sonja Jähnig de l’Institut Leibniz d’écologie aquatique et de la pêche en eau douce (IGB) et de l’Université Humboldt de Berlin. La chercheuse spécialisée dans la biodiversité a initié le programme des priorités thématiques de recherche et des mesures de protection de la biodiversité d’eau douce et l’a lancé avec 95 chercheuses et chercheurs de 38 pays. L’Eawag a aussi participé en la personne du professeur Ole Seehausen, responsable du département Écologie et évolution des poissons.
La diversité biologique en eau douce englobe les gènes, les populations, les espèces, les communautés et les écosystèmes de toutes les eaux intérieures. Elle fournit des prestations essentielles qui, en tant que fondement de la vie, sont d’une grande importance pour le bien-être de l’homme. Mais en dépit de cette importance: «À l’heure actuelle, cette biodiversité est en déclin dans une proportion encore jamais atteinte. Les chiffres le prouvent sans ambiguïté», déclare Sonja Jähnig.
Recul de plus de 80 pour cent des populations d’animaux d’eau douce
Le dernier Rapport Planète Vivante du WWF a documenté pour 3741 populations étudiées, représentant 944 espèces de vertébrés d’eau douce, un recul moyen des populations de 84 pour cent en l’espace de 50 ans. Des trois domaines terre, mer et eau douce, ce recul est le plus marqué. «Malgré ce recul persistant sans précédent, ni les plateformes politico-économiques internationales et intergouvernementales ni les organisations de défense et les grandes initiatives d’intérêt public ne parviennent à accorder à la biodiversité des eaux douces la priorité qu’elle mérite», critique le Dr Alain Maasri de l’IGB, auteur principal de l’article.
Une sous-représentation flagrante des eaux intérieures dans la défense de l’environnement
Un rapport récent* sur le financement environnemental par 127 fondations européennes montre que les eaux intérieures ne représentent que 1,75 pour cent des 745 millions d’euros alloués à l’environnement en 2018 et que, parmi les 13 catégories thématiques utilisées pour évaluer la répartition des subventions, les eaux intérieures sont classées en avant-dernière position. Les eaux intérieures sont souvent incluses dans les écosystèmes terrestres et sont ensuite insuffisamment prises en compte dans les plans de financement.
Un nouveau programme pour faire avancer la recherche sur la biodiversité et la politique environnementale
«Le programme donnera une impulsion pour renforcer l’engagement global en faveur de la recherche et de la protection de la biodiversité en eau douce, mais les mesures concrètes doivent cependant toujours être développées au niveau local, régional et national», insiste Sonja Jähnig.
Les autrices et auteurs du programme identifient 15 priorités dans les domaines de l’infrastructure des données, de la surveillance, de l’écologie, de la gestion et de l’écologie sociale sur la base desquelles la recherche internationale sur la biodiversité doit être développée de manière ciblée dans le domaine de l’eau.
Les autrices et les auteurs ont également mis en relation avec ces 15 priorités trois grands défis: lacunes dans les connaissances, difficultés de communication et mise en œuvre politique insuffisante.
Combler les lacunes de connaissances, mieux communiquer et faire preuve de courage politique
«Il ne s’agit pas de montrer du doigt les décideurs politiques ou d’autres acteurs. Nous tous – chercheuses et chercheurs compris – sommes tenus de fixer des priorités et de mieux coopérer», déclare Alain Maasri. Il existe de grandes lacunes de connaissances et un accès inégal à l’information dans le domaine de l’écologie, par exemple sur les interactions entre les organismes et l’environnement. La surveillance pourrait elle aussi être améliorée: à l’aide d’analyses par image et vidéo automatisées, de l’intelligence artificielle, des technologies de télédétection ou par un engagement scientifique des citoyens. Il faudrait également inclure d’autres disciplines.
Les difficultés de communication entre les scientifiques, les praticiens, les managers et les décideurs politiques sont fréquentes; cela concerne notamment la mobilisation et la mise à disposition de données existantes. Cela devrait aller de pair avec la numérisation des données provenant des autorités de surveillance régionales et nationales, des collections de musées et des instituts de recherche.
En impliquant les communautés locales et les experts, les autrices et auteurs souhaitent obtenir plus de soutien politique en cas de conflit d’objectifs entre les intérêts écologiques, économiques et sociétaux. Cela implique aussi d’intégrer les connaissances écologiques traditionnelles et autochtones.
«En premier lieu, les lacs, les rivières, les étangs et les zones humides devraient être explicitement reconnus comme des habitats importants et distincts dans les programmes de gestion et de renaturalisation», résume Sonja Jähnig.
Concernant la genèse du programme international
Le programme a été initié lors d’un atelier international de l’Alliance for Freshwater Life en novembre 2018 à Berlin. Il reflète l’opinion collective des autrices et auteurs et s’appuie sur des discussions intensives et des échanges de connaissances et d’idées menés en 2020. «Je considère le programme proposé avec ses 15 priorités comme un début», dit Ole Seehausen. «Pour intégrer les perspectives mondiales de manière représentative, il faudrait maintenant faire participer de manière très ciblée des scientifiques et des acteurs issus des parties sous-représentées de la société mondiale.»