Des stratégies cognitives pour un corps augmenté avec un 3e bras

Des scientifiques de l’EPFL montrent que la respiration peut servir à actionner un bras robotique additionnel chez des personnes saines, sans interférer avec le contrôle d’autres parties du corps.
Des stratégies cognitives pour un corps augmenté avec un 3e bras à l'aide de la réalité virtuelle. © 2023 EPFL / Alain Herzog CC-BY-SA

Le neuroingénieur Silvestro Micera développe des solutions technologiques pour aider des personnes à retrouver des fonctions sensorielles et moteurs après des traumatismes ou en raison de troubles neurologiques. Jusqu’à aujourd’hui, il n’avait jamais travaillé sur améliorer le corps humain et la cognition avec l’aide de la technologie.

Dans son étude, publiée dans Science Robotics, le chercheur et son équipe montrent comment tirer parti du mouvement du diaphragme pour contrôler un bras additionnel. En d’autres termes, il s’agit d’augmenter une personne sans problème médical avec un troisième bras, robotique en l’occurrence.

«Nos travaux ouvrent des possibilités nouvelles et passionnantes en montrant que l’on peut vraiment contrôler des bras supplémentaires, et qu’on peut le faire tout en contrôlant simultanément nos deux bras naturels», explique Silvestro Micera, titulaire de la chaire Bertarelli en neuroinglnierie translationnelle à l’EPFL et professeur de bioélectronique à la Scuola Superiore Sant’Anna.

L’étude fait partie du Third-Arm Project, qui veut fournir à des personnes un bras robotique pour les assister dans les tâches de la vie quotidienne, ou pour apporter une aide dans des opérations de sauvetage. Silvestro Micera pense qu’en explorant les limites cognitives liées à l’utilisation de ce troisième bras, nous pourrons mieux comprendre le cerveau humain.

«En contrôlant ce troisième bras, notre but principal est de comprendre le système nerveux, poursuit le chercheur. Si vous posez un défi au cerveau en lui demandant d’effectuer des tâches entièrement nouvelles, vous pouvez voir s’il en a la capacité et s’il est possible de faciliter l’apprentissage. Ensuite, nous exploiterons ces connaissances pour, par exemple, concevoir des dispositifs d’aide aux personnes handicapées, ou des protocoles de rééducation après une attaque cérébrale.»

«Nous voulons comprendre si nos cerveaux sont câblés pour contrôler ce que la nature nous a donné, explique Solaiman Shokur, co-directeur de l’étude et maître d’enseignement et de recherche à l’EPFL. Nous avons montré qu’ils peuvent s’adapter en coordonnant de nouveaux membres en même temps que nos membres biologiques. Il s’agit d’acquérir de nouvelles fonctions motrices, des améliorations qui vont au-delà des fonctions existantes d’un utilisateur lambda, qu’il s’agisse d’une personne valide ou souffrant d’un handicap. Du point de vue du système nerveux, il y a un continuum de la rééducation à l’augmentation.»

«Nous voulons comprendre si nos cerveaux sont câblés pour contrôler ce que la nature nous a donné. Nous avons montré qu’ils peuvent s’adapter en coordonnant de nouveaux membres en même temps que nos membres biologiques.»      Solaiman Shokur, co-directeur de l’étude

Pour explorer les contraintes cognitives de l’augmentation, les scientifiques ont d’abord construit un environnement virtuel et testé la capacité d’un utilisateur valide à contrôler un bras virtuel avec son diaphragme. L’équipe a découvert que le contrôle du diaphragme n’interfère pas avec des actions comme le contrôle des bras physiologiques, la parole ou le regard.

Dans cette expérience de réalité virtuelle, l’utilisateur est équipé d’une ceinture qui mesure les mouvements du diaphragme. Coiffé d’un casque de réalité virtuelle, il voit trois membres: le bras droit et sa main, le bras gauche et sa main, et un troisième bras situé entre les deux, terminé par une main symétrique à six doigts.

«Nous avons dessiné une main symétrique pour éviter un biais en faveur de la main gauche ou droite», explique Giulia Dominijanni, doctorante à l’institut Neuro-X de l’EPFL.

Dans cet environnement virtuel, on demande à l’utilisateur de tendre la main gauche et droite, ou celle symétrique du milieu. Dans l’environnement réel, l’utilisateur se tient à un exosquelette avec ses deux bras pour contrôler la version virtuelle des deux membres. Les mouvements du diaphragme détectés par la ceinture sont utilisés pour contrôler le membre virtuel et symétrique du milieu. Le système a été testé sur 61 personnes lors de plus de 150 séances.

«Le contrôle du troisième bras avec le diaphragme est très intuitif, explique Giulia Dominijanni. Les utilisateurs apprennent très rapidement à contrôler le membre supplémentaire. De plus, notre stratégie de contrôle est en soi indépendante des membres biologiques. Nous montrons que le contrôle du diaphragme n’affecte pas la capacité de l’utilisateur à parler de manière cohérente.»

Les scientifiques ont également testé avec succès le contrôle via le diaphragme, avec un véritable bras robotique — une version simplifiée, consistant en une baguette qui peut être étendue et repliée. Quand l’utilisateur contracte le diaphragme, la baguette se déploie. Dans l’expérience, analogue à celle effectuée dans l’environnement virtuel, l’utilisateur doit atteindre des cibles et y maintenir sa main, physiologique ou robotique.

Hormis le diaphragme, les scientifiques ont aussi testé les muscles de l’oreille pour leur capacité à accomplir de nouvelles tâches. Une expérience non décrite dans leur article. L’utilisateur était équipé de capteurs dans l’oreille; il s’entraînait à contrôler de fins mouvements de l’oreille pour contrôler le déplacement du pointeur d’une souris sur un ordinateur.

«Les utilisateurs pourraient potentiellement utiliser ces muscles pour contrôler un membre supplémentaire», explique Solaiman Shokur. Selon le chercheur, cette stratégie de contrôle alternative pourrait un jour contribuer au développement de protocoles de rééducation pour des patients affectés par des problèmes moteurs.

Dans le cadre du Third Arm Project, les études précédentes sur le contrôle des bras robotiques avaient pour objectif d’aider les personnes amputées. Mais cette dernière étude dans Science Robotics s’éloigne des problématiques de réparation du corps pour se diriger vers celle de l’augmentation.

«Dans une prochaine étape, nous explorerons l’utilisation de dispositifs robotiques plus complexes, en exploitant nos diverses stratégies de contrôle. Il s’agira d’effectuer de vraies tâches, dans et hors le laboratoire. A ce moment seulement nous nous ferons une idée sur le véritable potentiel de cette approche», conclut Silvestro Micera.

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