Les bactéries utilisent un «sens du toucher» pour se déplacer
De nombreuses bactéries qui peuvent causer des maladies, comme Pseudomonas aeruginosa, avancent sur des surfaces grâce à une motilité de type «twitching». Nous savons que des filaments larges de quelques nanomètres appelés «pili de type IV» sont à l’origine du twitching, mais les scientifiques ignorent quels signaux sensoriels coordonnent les mouvements des microbes.
Des chercheurs de l’EPFL ont découvert que les bactéries Pseudomonas utilisent un mécanisme similaire à notre sens du toucher pour se déplacer sur les surfaces. «Cette étude change notre manière de penser la motilité des bactéries», souligne Alexandre Persat, auteur principal et professeur assistant tenure track à la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL.
«Les scientifiques savaient que des cellules d’êtres humains et d’autres animaux pouvaient avancer en direction de surfaces plus rigides ou plus souples, mais pas si les bactéries pouvaient aussi diriger leur mouvement sur la base de la force mécanique», poursuit Alexandre Persat. «En effet, la plupart des études sur le sujet se sont concentrées sur l’identification de mécanismes qui guident les mouvements de bactéries vers des substances chimiques telles que de la nourriture, un phénomène connu sous le nom de chimiotaxie.»
Les scientifiques du laboratoire d’Alexandre Persat, ont plutôt axé leurs recherches sur la manière dont les bactéries perçoivent les forces mécaniques et y répondent. Des études antérieures ont montré que le pilus de Pseudomonas fonctionne comme un harpon: une fois qu’il s’étend et qu’il touche une surface, il active un moteur moléculaire qui entraîne la rétraction du filament, propulsant ainsi la cellule en avant.
Afin de comprendre ce qui coordonne les moteurs des pili, les chercheurs de l’EPFL et leurs collègues de l’Université de Californie à San Francisco se sont penchés sur la manière dont les bactéries Pseudomonas individuelles se déplacent sur des surfaces telles que le fond d’un récipient de laboratoire. Présumant qu’un réseau de protéines appelé «système Chp» régulait le twitching, ils ont analysé les bactéries chez qui il manquait différents composants du système Chp. Certaines de ces bactéries mutantes pouvaient à peine se déplacer, car elles ne cessaient de bouger en avant et en arrière; d’autres allaient toujours en avant, même lorsqu’elles butaient contre un obstacle.
En combinant des marqueurs fluorescents avec une technique de microscopie qui permet d’observer des pili individuels dans des cellules vivantes, les chercheurs ont découvert qu’une protéine messagère activait l’extension des pili, propulsant la cellule en avant, alors qu’une autre protéine inhibait la formation de pili à l’avant de la cellule mobile. Ces deux messagers opposés ne se trouvent pas au même endroit dans la cellule. «L’activateur se situe à l’avant, où la cellule sent la surface avec ses pili, tandis que l’inhibiteur se trouve partout ailleurs», précise Marco Kühn, co-auteur principal.
Lorsque les bactéries heurtent un obstacle tel qu’une autre cellule, l’inhibiteur leur permet de s’arrêter et de changer de direction, ont constaté les chercheurs. «Cela aide les cellules à se diriger en fonction de ce qu’elles sentent devant elles, comme une personne aveugle avec une canne», compare Alexandre Persat. «La capacité à percevoir le milieu qui les entoure est utile lorsque les bactéries se déplacent en groupe», ajoute-t-il, «puisque ça aide les microbes à avancer tous dans la même direction.»
Publiés dans la revue PNAS, ces résultats clarifient comment les bactéries se déplacent et pourraient avoir des implications considérables pour la santé des êtres humains. En effet, Pseudomonas aeruginosa, un agent pathogène opportuniste que l’on trouve généralement dans les sols, constitue l’une des principales causes d’infections nosocomiales. Des bactéries Pseudomonas s’agrègent typiquement sur des surfaces telles que des cathéters et des respirateurs et peuvent se montrer extrêmement résistantes aux désinfectants et aux médicaments antimicrobiens
De plus, des recherches antérieures de l’équipe d’Alexandre Persat ont montré que Pseudomonas utilisait ses pili pour réguler la sécrétion de toxines. «C’est pour cela que mieux comprendre ce «sens du toucher» des microbes pourrait contribuer à mettre au point de nouvelles stratégies thérapeutiques,» souligne le scientifique.
Par la suite, les chercheurs ont pour but de découvrir comment les bactéries transforment un stimulus mécanique en une réponse cellulaire, informe Lorenzo Talà, co-auteur principal. «Nous aimerions comprendre le mécanisme moléculaire qui se cache derrière le sens du toucher des bactéries», précise-t-il.