Une concentration réduite en nutriments issus de l’atmosphère dans les sols
La transition énergétique, c’est-à-dire le passage des énergies fossiles aux énergies renouvelables, suit son cours dans le monde entier. «La réduction des émissions de combustibles fossiles a été décisive pour lutter contre la pollution de l’air et reste indispensable pour atteindre les objectifs relatifs à la protection du climat» déclare Lenny Winkel, professeure à l’EPF et cheffe de groupe à l’institut de recherche de l’eau Eawag. «Mais cela a aussi des conséquences inattendues sur la concentration en nutriments dans les sols et, par conséquent, sur la production des cultures agricoles.»
Effet collatéral inattendu des combustibles fossiles
La combustion de matières premières fossiles telles que le charbon, le gaz ou le pétrole libère dans l’atmosphère du dioxyde de carbone et d’autres polluants, notamment du mercure toxique. Mais pour deux autres polluants – le soufre et le sélénium – l’histoire est plus compliquée. À des taux de concentration élevés, ces deux éléments peuvent avoir des effets nocifs. Néanmoins, lorsqu’ils pénètrent dans les sols par l’eau de pluie, ils deviennent des nutriments dont le rôle s’avère décisif pour les systèmes agricoles.
Le soufre est un nutriment essentiel pour la santé et la croissance des plantes, il est donc d’une importance capitale pour assurer un haut rendement des récoltes. On constate de plus en plus fréquemment une carence en soufre dans les cultures agricoles, laquelle menace de manière accrue la sécurité alimentaire sur la planète.
Une concentration en sélénium plus faible présente un risque de carence en nutriments
Les plantes absorbent également le sélénium dans le sol, et s’il est moins important pour leur croissance, c’est en revanche un oligoélément vital pour la santé des êtres humains et des animaux d’élevage, notamment pour leur système immunitaire. Une teneur élevée en sélénium dans le sol à la disposition des plantes est donc déterminante pour produire des aliments sains et riches en sélénium. Certaines estimations actuelles font déjà état d’un demi-milliard à un milliard d’êtres humains en carence de sélénium.
Une équipe de scientifiques de l’Eawag, de l’EPF de Zurich et des États-Unis, dirigée par Lenny Winkel et son ancien doctorant Ari Feinberg, a étudié à l’échelle internationale les dépôts de soufre et de sélénium avec une approche de modélisation combinée. Les résultats sont publiés aujourd’hui dans l’article Reductions in the deposition of sulfur and selenium to agricultural soils pose risk of future nutrient deficiencies paru dans Nature Journal «Communications Earth & Environment». L’équipe de scientifiques a utilisé un modèle climatique global de chimie-aérosol pour cartographier les dépôts des dernières années (2005 à 2009) à l’échelle mondiale et prédire les futures modifications (2095 à 2099) avec deux scénarios socioéconomiques.
Le recul des dépôts de soufre et de sélénium menace la production alimentaire
«Nos calculs modélisés montrent un recul massif des dépôts sur les terres agricoles», explique Ari Feinberg, auteur principal de l’étude et depuis peu postdoctorant au MIT, aux États-Unis. «Les concentrations en soufre pourraient reculer de 70 à 90 pour cent d’ici à la fin du XXIe siècle, et de 55 à 80 pour cent pour le sélénium.» L’apport suffisant en nutriments constituera donc un défi, en particulier pour les terres agricoles auxquelles sont soustraites de grandes quantités de soufre et de sélénium du fait des récoltes intensives.
Dans leur article, les scientifiques appellent par conséquent à poursuivre l’observation des modifications de la concentration en nutriments dans l’agriculture et à développer des solutions durables pour surmonter leur recul. «Cela peut contribuer à garantir l’approvisionnement de la population mondiale en aliments sains et riches en nutriments», explique Lenny Winkel.