Des mangeurs de bactéries pour lutter contre les infections nosocomiales
Les bactériophages sont des virus qui ressemblent à des modules lunaires. Mais au lieu d'atterrir sur des astres en mission pacifique, ils s'amarrent à des bactéries pour les détruire peu après. Ils ont besoin des bactéries comme hôtes pour pouvoir se multiplier: en injectant leur ADN, ils obligent les bactéries à produire de nouveaux phages jusqu’à ce qu’elles explosent. Les phages alors libérés peuvent à leur tour attaquer et détruire de nouvelles bactéries. Du fait de leur spécialisation élevée – les phages ne peuvent utiliser qu’un ou peu de types de bactéries comme hôte – ils sont prédestinés pour être utilisés contre les germes pathogènes.
Faisant l’objet de recherches intensives, ils sont notamment considérés comme porteurs d’espoir dans la lutte contre les bactéries résistantes aux antibiotiques. En Europe de l’Est, ils sont déjà utilisés dans le traitement médical. Mais jusqu’à présent, un autre domaine d'utilisation possible suscite peu d’intérêt: la lutte contre les agents pathogènes sur les surfaces. Les phages pourraient s’avérer intéressants par exemple pour éliminer les agents pathogènes opportunistes dans les hôpitaux ou les maisons de retraite. De tels agents sont inoffensifs pour les personnes en bonne santé mais peuvent être dangereux pour les patients dont le système immunitaire est affaibli.
Des agents pathogènes de plus en plus résistants aux antibiotiques
Ces dernières années, les infections avec des agents pathogènes opportunistes n’ont cessé d’augmenter, engendrant d’énormes coûts sanitaires. Chaque année, 7 à 8 pour cent des personnes hospitalisées en Suisse contractent une infection dite nosocomiale fréquemment causée par des agents pathogènes opportunistes. Facteur aggravant, nombre de ces agents pathogènes sont de plus en plus résistants aux antibiotiques. Ils se transmettent via les surfaces contaminées car la désinfection ne les élimine que partiellement ou parce que les surfaces désinfectées se recontaminent rapidement.
La bactérie opportuniste Pseudomonas aeruginosa est une cause fréquente de ces infections nosocomiales si redoutées. Une infection par cet agent pathogène peut provoquer des inflammations pulmonaires ou des infections des plaies et des voies urinaires. Une étude des chercheurs de l’Eawag Elyse Stachler, Anina Kull et Tim Julian, publiée dans la revue «Applied and Environmental Microbiology», s’est penchée sur la question de savoir si les phages peuvent améliorer l’élimination de la Pseudomonas aeruginosa sur les surfaces.
Le biofilm, bouclier protecteur des bactéries
Ils ont étudié à la fois le traitement avec des phages uniquement et en combinaison avec des produits de désinfection. Pour cela, les chercheuses et chercheurs ont travaillé avec deux phages différents (P1 et JG004) ainsi que deux produits de désinfection (hypochlorite de sodium et chlorure de benzalkonium). En outre, la bactérie a été étudiée sous trois formes différentes afin de reproduire aussi fidèlement que possible en laboratoire les conditions réelles sur les diverses surfaces d’un hôpital: en tant que bactéries vivant librement sur les surfaces ou dans des biofilms humides ou secs. À l’aide de tels biofilms, une couche de mucus autoproduite, les bactéries peuvent se protéger contre les antibiotiques ou les désinfectants et sont donc particulièrement résistantes.
Le traitement par phages des surfaces contaminées était par conséquent plus ou moins efficace en fonction de la forme des bactéries: les bactéries libres et les biofilms humides ont pu être éliminés à 99 pour cent. Les phages étaient donc plus efficaces que les désinfectants. En revanche, les phages n’ont pas réussi à éliminer les biofilms secs. Les chercheurs expliquent que les phages ont besoin d’hôtes en croissance active pour pouvoir les utiliser pour leur reproduction. Dans les biofilms secs, les bactéries sont dans une sorte d’état de repos et ne peuvent donc pas être manipulées par les phages à leurs fins. Toutefois, l’utilisation de phages empêche quand même que les biofilms secs continuent à se développer.
Combinaison de phages et de désinfectant: la solution la plus efficace
Par ailleurs, les chercheuses et chercheurs ont testé le traitement combiné avec phages et désinfectants. En utilisant sur les biofilms humides d’abord les phages puis un désinfectant, l’élimination des bactéries est nettement plus efficace qu’avec les phages seuls ou la désinfection seule. De plus, l’utilisation combinée des deux méthodes nécessite moins de phages que l’utilisation de phages seuls. Selon les chercheurs, cette solution permet de réduire la probabilité que les bactéries développent une résistance aux deux traitements.
Si l'on inverse l’ordre du traitement – soit l’utilisation des phages après la désinfection chimique – la combinaison n’apporte aucun avantage par rapport à la désinfection. Les chercheurs supposent que le désinfectant inactive la couche bactérienne externe du biofilm, empêchant ainsi son infection par les phages.
Le traitement combiné n’a pas été testé sur les biofilms secs étant donné que le traitement aux phages seuls était inefficace. Pour les bactéries libres en revanche, le traitement aux phages était si efficace que les bactéries résiduelles n’étaient plus quantifiables avec la méthode d’analyse utilisée.
Dans l’ensemble, l’étude montre que l’utilisation de phages, ainsi que le traitement combiné avec phages et désinfection chimique, sont appropriés pour réduire ou éliminer les agents pathogènes sur les surfaces, notamment pour les biofilms difficiles à éliminer avec une désinfection ordinaire. Mais les chercheurs indiquent que d’autres études seront nécessaires avant de pouvoir appliquer cette méthode dans la pratique.