Vers une société décarbonée: les risques sont à prendre au sérieux
Le 19 février les Etats-Unis, seconds plus gros émetteurs de carbone au monde, rejoindront les Accords de Paris. Cette entrée marquera le début d’une année d’intensification des activités politiques en vue de la Conférence de Glasgow sur les changements climatiques (COP26), en novembre, où les pays devront à nouveau s’engager à respecter leurs objectifs de baisse des émissions.
« 2021 pourrait être l’année la plus importante en termes d’action climatique depuis 2015 », explique Aengus Collins, directeur adjoint du Centre international de gouvernance des risques (IRGC) à l’EPFL. « Un nombre croissant de pays et d’organisations s’engagent à atteindre des objectifs ambitieux de décarbonisation. Le rythme s’accélère, et il est crucial de rester sur le bon chemin des progrès. »
Au niveau mondial, la tâche la plus pressante est certes d’assurer que les objectifs de réduction seront atteints, afin d'éviter les conséquences les plus graves du réchauffement global. Or, avertit Aengus Collins, la décarbonisation entraîne ses propres conséquences négatives. Ces dernières sont modestes comparées à ce qui nous attend si nous manquons nos objectifs en termes de climat. Mais si nous ne nous préparons pas à affronter des obstacles, la transition sera freinée ou risque même d'échouer. Ce pourrait être le cas par exemple si les mesures prises pour favoriser la transition font l'objet d’une opposition publique, comme c’est arrivé en France avec le mouvement des gilets jaunes déclenché par la décision d'augmenter le prix de l'essence.
« Nous ne devons épargner aucun effort pour assurer le succès des politiques climatiques », insiste Aengus Collins. « Cela implique d’anticiper les bouleversements involontaires que ces politiques pourraient entraîner dans certains pays ou pour certaines communautés. »
Le Centre international de gouvernance des risques de l’EPFL (IRGC) a réuni un groupe pluridisciplinaire d’experts en septembre dernier pour mieux comprendre et planifier les impacts négatifs ou risques des transitions. Il en résulte un rapport d’orientation politique intitulé Risk governance and the low-carbon transition. Le document définit huit catégories de risques des transitions : économiques, financiers, sociétaux, environnementaux, technologiques, énergétiques, géopolitiques et entrepreneuriaux. Il souligne la nécessité de gérer ces risques de manière systématique — plutôt qu’individuellement — pour ne pas manquer d’importantes interconnexions ; il se distingue par son approche intégrative des risques causés par la transition énergétique ; il attire l’attention sur le fait qu’il ne suffira pas de développer des solutions ad hoc pour les risques individuels, et que les scientifiques et décideurs doivent agir sur les associations complexes qui relient les risques entre eux.
« Le changement climatique montre à quel point il est important de penser en termes de systèmes complexes », explique Aengus Collins. « Le même état d’esprit est requis pour les risques de la transition. Il faut une politique intégrative aux niveaux nationaux et internationaux pour identifier, évaluer et gérer ces risques. Le rapport de l’IRGC a pour but de contribuer à promouvoir le succès des politiques climatiques. Il recommande aux décideurs d'anticiper les préjudices des potentiels effets secondaires de la transition, afin de prévoir leur mitigation. Les risques de la transition énergétique ne sont pas seulement économiques et financiers, mais aussi sociaux, politiques et environnementaux. »
Le rapport de l’IRGC est publié alors même qu’en vue de la COP26 s’accumulent les indices d’une accélération de la transition vers une société de neutralité carbone. De plus en plus de gouvernements et de régions ont adopté des décisions comportant des échéances telles que 2050 pour parvenir à des émissions nettes négatives. C'est notamment le cas de l’Union européenne, la France, la Hongrie, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud, la Suède ou le Royaume-Uni. De même, les entreprises sont sujettes à une pression croissante pour participer plus activement à l'atteinte de ces objectifs. D’importants investisseurs financiers menacent de quitter les entreprises qui n’auraient pas planifié leur transition de manière adéquate. Aux Pays-Bas, un procès est en cours contre Shell pour tenter de forcer l'accélération de sa transition vers les énergies renouvelables. Le sentiment commence à s’imposer que l’on a probablement atteint un moment charnière.
« Tous ces indices suggèrent une poursuite de l’accélération vers une économie et une société de neutralité carbone. Cela rend encore plus importante la préparation des pays et des organisations aux risques secondaires», insiste Aengus Collins. « Nous le voyons déjà en Australie qui doit se préparer à une chute de ses exportations de charbon, suite aux décisions de certains de ses principaux partenaires commerciaux de prioriser les énergies renouvelables. »
Les politiques consacrent une attention croissante aux risques associés à la transition vers une société à faible intensité de carbone. Le secteur financier était l’un des premiers à réagir, avec la Taskforce on Climate-related Financial Disclosures (TCFD). Cette dernière recommande que les entreprises publient certaines informations afin de permettre une plus grande transparence et de meilleures prises de décision chez les investisseurs, et faciliter une transition graduelle et prévisible. Dans l’UE, l’emploi est une priorité. Doté de 17,5 milliards d’euros, son Fonds pour une transition 'juste' soutiendra les régions européennes touchées par des bouleversements socio-économiques dus à la réduction des secteurs dépendant des énergies fossiles.
Ces mesures politiques, et d’autres encore, montrent que les risques des transitions sont sur le radar de certaines institutions. Mais une attention plus systématique est nécessaire. C’est un maillon faible dans notre préparation pour réaliser nos objectifs climatiques. L’une des principales actions que recommande l’IRGC aux gouvernements et organisations est d’identifier et d’évaluer les risques des transitions susceptibles de les affecter, afin d’obtenir une description claire de leurs vulnérabilités. Un autre point important est d’accélérer les solutions qui semblent efficaces — telles que l'utilisation des revenus des taxes carbone pour protéger les salaires les plus faibles. Le rapport recommande également de tirer les enseignements des transitions passées, de développer les capacités institutionnelles et de renforcer la résilience des systèmes critiques.
« Plus les gouvernements et organisations seront préparés aux risques des transitions, plus les politiques climatiques seront susceptibles de réussir », conclut Aengus Collins.