«Dans une situation comme celle-ci, tout le monde est perdant»
ETH News: Pourquoi l'ETH Zurich lance-t-elle une telle initiative?
Aujourd'hui plus que jamais, la résolution de problèmes mondiaux nécessite une collaboration. La science veut et doit jouer un rôle dans, par exemple, la prévention des futures pandémies ou l'atténuation des effets du changement climatique. La Suisse et le Royaume-Uni sont des poids lourds de la science qui se voient refuser le plein accès à Horizon Europe pour des raisons politiques. Avec cette initiative, nous voulons attirer l'attention sur le fait que cet état de fait n'est pas dans l'intérêt de la Suisse ni de l'Europe. Et ce point de vue est partagé par les universités, les institutions de recherche et les réseaux scientifiques de toute l'Europe !
Les institutions de recherche européennes ont-elles intérêt à ce que la Suisse et le Royaume-Uni s'associent pleinement? Il s'agit certainement d'une opportunité pour les universités européennes de débaucher des talents en Suisse et au Royaume-Uni et de prendre en charge la coordination d'importants projets de recherche.
C'est une bonne question, car la science est aussi toujours une compétition. Il y a certainement des institutions qui ne sont pas désolées de voir les meilleures universités suisses et britanniques exclues. Dans la situation actuelle, par exemple, le Conseil suédois de la recherche n'a pas pu s'empêcher de débaucher ouvertement les lauréates et lauréats des bourses CER des universités suisses. Mais si l'on considère la situation dans son ensemble, la recherche européenne ne peut réussir que si la Suisse et le Royaume-Uni - des partenaires solides et éprouvés - bénéficient à nouveau d'une association pleine et entière. La longue liste d'organisations et de personnalités qui ont signé l'initiative Stick to Science renforce ce point de vue. Il est inacceptable que la science soit laissée de côté en raison de désaccords politiques. Dans une telle situation, tout le monde est perdant.
Pourquoi l'association au programme de recherche européen est-elle si importante pour la Suisse? Le pays dispose déjà d'un réseau international très fort dans le domaine de la recherche.
La Suisse a un bon réseau, oui. L'ETH Zurich en particulier en a un aussi, avec de bons et importants contacts aux Etats-Unis et en Asie. Cependant, ces contacts ne peuvent pas remplacer nos connexions avec la communauté de recherche européenne. Nous devons travailler sur des sujets clés tels que l'énergie, l'informatique quantique, la cybersécurité et la médecine avec des partenaires européens. Prenons par exemple les solutions pour des réseaux intelligents et stables dans une économie énergétique sans CO2: ce n'est pas avec l'Asie, mais plutôt avec l'Europe que nous les développerons en priorité. En outre, la Suisse fait partie d'une communauté de valeurs communes en Europe; cela se manifeste par exemple dans la manière dont nous traitons les données personnelles ou la propriété intellectuelle. Et bien sûr, je suis aussi préoccupé par le fait que nos chercheuses et chercheurs ne pourront désormais plus postuler aux très convoitées bourses CER.
Au moins, le Secrétariat d'État suisse à la formation, à la recherche et à l'innovation (SEFRI) comblera le manque de fonds jusqu'à nouvel ordre.
Nous apprécions grandement le soutien financier du SEFRI dans cette situation difficile, mais il y a une chose que nous ne devons pas oublier: une bourse CER signifie bien plus qu'un financement, surtout pour les chercheuses et chercheurs en début de carrière. Une subvention du CER ouvre des portes et des réseaux et constitue souvent un tremplin vers un poste de professeur·e. La comparaison a été faite à maintes reprises, mais elle reste vraie: jouer dans la Ligue des championnes et champions n'a pas le même statut que gagner dans le championnat national.
Il est vrai que la participation aux programmes Horizon Europe reste ouverte à nos chercheuses et chercheurs dans différents domaines. Mais la Suisse ayant le statut de pays tiers non associé, elle ne peut plus coordonner les grands projets, ce qui rend la coopération extrêmement difficile et la transforme en véritable course d'obstacles.
Du point de vue de l'UE, n'est-il pas compréhensible que la rupture des négociations par le Conseil fédéral suisse ait des conséquences?
Nous sommes bien sûr conscientes et conscients que les décideurs politiques ont d'autres préoccupations que la science. Mais nous avons déjà vécu une situation très difficile lorsque la Suisse a été temporairement exclue d'Horizon Europe en 2014. Avec l'initiative européenne «Stick to Science» lancée aujourd'hui, nous voulons dire aux politiciennes et politiciens de laisser la science faire son travail: permettez-lui de collaborer librement au-delà des frontières nationales. C'est dans l'intérêt de toutes et tous - en Suisse et en Europe.